the mistakes we make

Elle aurait dû mettre un terme à tout cela beaucoup plus tôt. Elle aurait dû en parler; peut-être qu'on aurait pu lui donner une autre chambre. Après tout, ce n'est pas tout le monde qui s'entend bien, non?

Mais elle n'a rien dit.
Elle s'est entêtée à vouloir prouver qu'elle mérite sa place.
Même si elle n'est n'en est pas forcément convaincue elle-même.

Alors elle laissait passer les piques à son égard, les insultes face à son « pouvoir de pacotille » et les milles et unes paroles blessantes à son égard. Bonne à rien, un fardeau pour l'escouade, un poids mort, la raison pour laquelle ils n'auront probablement jamais de succès au sein de l'académie. Elle se dit, Yubin, qu'ils ont sans doute raison; mais cette flamme qui brûle dans ses tripes ne s'éteint pas si facilement: il faut bien plus qu'une simple éclaboussure pour noyer ses ardeurs, même qu'elle choisi d'interpréter ces attaques comme de l'huile, un carburant additionnel qui attise la braise et qui ravive cet esprit compétitif parfois si malsain. Et elle se dit qu'elle prouvera qu'elle a sa place sous l'enseigne du phénix, elle et ses désirs brûlants, elle et sa volonté de survivre à tout épreuve.

Presque 23h30. Une autre journée écoulée où elle arrive à faire sa place sans trop de dégâts. Mais, alors qu'elle s'apprête à aller dormir, une main se dépose sur son épaule. D'autres insultes, d'autres demandes. On la force, cette fois-ci, à dormir au sol; on ne veut pas d'elle dans aucune des chambres, et il est hors de question qu'elle souille le canapé de son aura inutile. Et elle était prête à les ignorer avant que l'autre fille de l'escouade ne scande quelque chose au sujet de sa famille, comme quoi ils doivent être déçus. Comme quoi sa mère doit se retourner dans sa tombe, comme quoi son père ne mérite pas d'être sauvé.

Sa vision se floute, la chaleur monte à sa tête, et ses poings se crispent. Fiche moi la paix. Un avertissement, une menace; parce qu'ils peuvent bien se moquer d'elle, oui, mais sa famille? Comment ont-ils trouvé cette information, de toute façon? Les quatres rient de plus belle et, au rythme de leurs ricanements, elle se retourne. Elle ne voit plus rien, Yubin. Elle ne voit que du rouge, du noir, elle se sent exploser et son poing heurte la personne la plus proche d'elle. La mêlée qui éclate, les coups qui s'échangent, une perçante douleur au nez... et, subitement, le dos qui heurte l'îlot de la cuisine, son corps qui s'effondre en quelque sorte au sol. Le surnombre aura eu raison d'elle, malgré ses expériences en boxe et arts martiaux, malgré cette rage qui l'animait.

Et elle a l'impression d'avoir échoué, Yubin. Elle ne se rend pas compte que ses yeux se remplissent d'eau tranquillement, ou que son regard s'est naturellement dirigé vers la fenêtre et le vide extérieur qu'elle offre. Elle ne se rend pas compte des dégâts autour d'elle, de son nez peut-être cassé, de cette blessure à la lèvre que l'autre fille a subi, de ses jointures enflées ou des objets cassés dans l'appartement.

Yubin n'est qu'avec elle-même, sans entendre les rires des autres membres de l'escouade qui reprennent de plus belle, sans entendre la porte s'ouvrir ou se refermer avec violence. Elle-même et ses pensées qui se noircissent davantage à chaque seconde. Elle-même et son désespoir et son envie de tout abandonner, pour la première fois de sa vie.

Bonne à rien.
Un fardeau.
Un poids mort.

La voix de Rae Han la sort finalement de torpeur, les pupilles à la recherche désespérée de son interlocuteur debout à quelques mètres d'elle. Et soudainement, elle hésite. Elle aurait envie de simplement laisser Mike tout dire pour qu'elle ne soit pas traitée comme une moucharde par les autres membres de l'escouade, chose qu'il allait faire même; mais Rae Han ne veut rien savoir de la version du robot, et sa respiration se fait plus difficile. Les mains qui tremblent, les entrailles tordues et la gorge qui enfle; elle ne sait pas quoi faire, Yubin. Elle n'a pas envie d'être davantage dans le pétrin, et elle n'a surtout pas envie de décevoir personne. Même si elle se déçoit elle-même depuis des années. Ce... c'est rien, c'est ma faute. J'ai dit un truc qui fallait pas. Désolée, ça se reproduira plus.

Et son regard s'enfuit de nouveau vers la baie vitrée, incapable de fixer qui que ce soit, effrayée par la réalité.

Vraisemblablement, Rae Han n'a pas avalé son excuse. Le ton teinté d'ironie, l'urgence dans ses interrogations. L'espace d'un instant, les pensées se bousculent; elle aurait souhaité se taire, l'impression que sa tentative n'a fait qu'empirer les choses. Elle aurait souhaité avoir eu le courage d'en parler dès le premier jour au lieu de laisser son orgueil prendre le dessus et bêtement croire qu'ils pouvaient avoir une relation cordiale dans le futur, comme si tout le monde pouvait bien s'entendre. Elle aurait souhaité s'être échappée avant l'arrivée de Wildfire, cachée dans un recoin de la résidence ou n'importe où ailleurs, pour éviter la confrontation.

Mais d'avoir et avant tout, en cet instant précis, elle aurait presque préféré être achevée par les quelques coups qu'elle a subi. L'impression que cette issue aurait peut-être été moins douloureuse que celle dont elle fait actuellement partie, l'âme déchirée en mille miettes, sa résilience endolorie, sa volonté de tenir bon inexistante.

Personne ne dit rien au chef de légion, et, le regard dans le vie, elle arrive à peine à apercevoir cette main tendue devant elle. Elle l'attrape tout de même avec réticence, le corps qui se propulse vers le haut un peu trop rapidement à son goût. L'étourdissement qui se joint à la soirée, la nausée qui suit, et un de ses avant-bras appuyé sur l'îlot de la cuisine qui doit aider à retenir le poids de son corps. Le papier tendu par son chef désormais entre ses doigts reste inutilisé, elle qui ne fait que le fixer sans avoir l'énergie de s'en servir.

Pathétique, n'est-ce pas?

Et alors qu'il s'embarque dans un certain monologue, elle ne peut s'empêcher, Yubin, de jeter un timide regard en direction des quatre autres. Le regard sombre de l'autre fille et son chien de garde, le sourire ricaneur difficilement caché d'un autre des garçons, et l'expression désolée du dernier, comme s'il n'avait jamais voulu faire partie de cette histoire. Et autant veut-elle lui pardonner qu'elle a du mal à ne pas lui en vouloir. Et, en même temps, elle s'en veut d'avoir l'impression qu'elle devrait passer l'éponge.

Comme si c'était de sa faute.
Comme si elle l'avait sans doute mérité.

Et plus ces idées se forment dans son esprit, plus elle y croit. Elle sent sa nausée revenir de plus belle lorsque Mike relate les faits, ses mains qui tremblent et cette affreuse boule à la gorge qui grossit de plus en plus jusqu'à l'empêcher de respirer. Mais elle entend Rae Han parler de radiation, et son instinct ne peut s'empêcher d'intervenir. N-non, c'est... Les paroles font mal, la voix est rauque, la gorge en état d'étranglement involontaire, le désarroi qui veut prendre le dessus. C'est moi le problème clairement. Faudrait pas punir tout le monde juste pour une personne qui sait pas s'intégrer.

Pourquoi voulait-elle tant les protéger, après tout ce qu'ils ont fait? Après ce qu'ils lui ont fait vivre?
Pourquoi était-elle ainsi?
Pourquoi avait-elle tant besoin de sauver tout le monde, quitte à se sacrifier elle-même?

L'envie de hurler est là, l'envie de baisser les bras et de se laisser emporter par la détresse qui tente de l'engouffrer, le brouillard qui s'installe que trop facilement au sein de son encéphale et qui masque toutes pensées rationnelles. Elle est là, Yubin, à trembler, à avoir l'impression que peut-être tout est de sa faute. Elle laisse ses faiblesses être exposées au grand jour, seule entourée de quatre personnes qui ne veulent pas d'elle, d'un chef de légion incrédule et d'un petit robot volant qui ne veut que le bien de tous. Loin de tout ce qu'elle connait, loin de ses repères, loin de son père qui aurait sans doute besoin qu'elle soit à ses côtés.

Wildlife n'accepte pas ses paroles, et elle ne peut pas lui en vouloir; peut-être a-t-il raison, après tout. Peut-être que leurs préjudices ne sont qu'enracinés dans la malice, qu'il n'y a aucune autre raison derrière ce traitement lui étant réservé par ses soi-disants camarades d'escouade. Elle répète chaque parole prononcée par son chef mentalement, comme si elle avait désespérément besoin d'y croire. L'âme qui a, pourtant, toujours l'impression que peut-être elle mérite tout ça, le karma qui débarque pour la punir d'elle ne sait trop quel affront aurait-elle pu avoir commis dans sa vie.

Et il mentionne un changement de légion possible, et sa gorge se noue davantage. Elle ne voulait pas que ça en arrive jusque là, Yubin; elle avait espoir que peut-être leurs différends pourraient être résolus, que peut-être les tensions ne seraient nées que de malentendus et qu'ils pourraient, malgré tout, passer l'éponge et recommencer du début. Se serrer la main, faire trêve de guerre et réécrire l'histoire. Peut-être est-il trop tard. Est-ce qu'elle doit considérer cet événement comme un autre échec, un autre poids à porter sur ses épaules? Si elle n'est pas en faute pour les événements en question, est-ce qu'elle doit se culpabiliser pour les résultats?

Elle ne sait pas, Yubin. Elle ne sait plus. Et sa gorge lui fait mal, l'air qui peine à venir. Elle tente à nouveau d'analyser les autres. L'autre jeune femme qui tente presque de la tuer du regard, celui à ses côtés qui croise les bras, prêt à la défendre. Celui en retrait qui n'arrive pas à effacer ce sourire sur son visage, et le dernier qui n'ose pas la regarder dans les yeux. Elle a envie de leur demander pourquoi. Pourquoi la déteste-t-elle autant? Pourquoi prend-t-il son parti sans même oser apprendre à la connaître? Comment trouve-t-il autant d'amusement dans ce genre de situation? Et quelles sont les raisons qui le poussent à être si passif?

Ses questionnements font renaître, ne serait-ce que temporairement, cette petite flamme qui s'éteint éteinte au creux de ses entrailles. Cette faible lueur qui l'aide à tenir bon tous les jours, la seule et unique raison pour laquelle elle arrive encore à rester debout malgré tout. Alors elle hoche la tête, finalement prête à se protéger d'abord et avant tout. Okay. Un simple mot pourtant si difficile à expulser; et elle porte la main à sa gorge, tentant de se débarrasser de cette boule d'émotion qui l'importune tant. Je sais pas pourquoi c'est arrivé à ça. Les iris pointés en direction de l'autre phénix, la mâchoire qui tremble légèrement, son poing libre qui se crispe malgré lui. Je sais pas ce que je leur ai fait. Ou ce qu'elle lui a fait à elle, les raisons qui la pousse à faire de la vie de la séoulite un enfer sur Terre.

Elle se permet de révéler la vérité même si les mots ont du mal à sortir, même si ses poumons brûlent et que sa gorge se serre. Elle se permet d'accepter que, peut-être, elle ne mérite pas entièrement ce qui se passe; que certaines personnes n'ont pas besoin de raisons pour importuner d'autres ou, si raisons il y a, elle ne les connait pas. Et si raison il y a, elle aurait aimé les connaître pour au moins se laisser une chance de se rattraper, corriger le tir. Elle se permet d'avouer qu'elle ne sait pas ce qui se passe, même si son réflexe premier est de croire qu'elle a peut-être une part de réalité. Tout ça, même si elle a l'impression de commettre une erreur, que tout cela la suivra jusqu'à son lit de mort.

Elle laisse son chef de légion la déplacer, lui qui l'attire vers elle. Elle tremble même si Wildfire est brûlant, la multitude d'émotions qui virevoltent en elle qui l'embêtent. Nausée, frissons, panique. Elle panique, ses mains l'une dans l'autre, ses doigts qui ne savent plus où donner de la tête, ses yeux pointés vers le sol. À peine peut-elle entendre les excuses, sincères ou non, des quatre autres étudiants devant elle. Le brouillard s'installe au creux de son encéphale, et cette sensation au creux de ses entrailles qui lui dit qu'elle n'est pas au bout de ses peines crie de plus en plus fort.

Lorsqu'il partira, que fera-t-elle? Elle partage sa chambre avec la seule autre fille de l'escouade, elle n'a pas d'endroit où se cacher seule jusqu'à ce que la poussière retombe. Et eux, que feront-ils? Vont-ils se calmer, maintenant que leur chef garde l'escouade sous attention? Est-elle en sécurité, ici? Elle aurait dû dire non au Radiant, elle aurait dû rester avec son père qui a besoin d'elle. Mille et un regrets qui se mettent soudainement à la noyer, et l'envie de s'enfuir loin, bien loin, lorsqu'il quittera l'appartement.

Mais semble-t-il qu'elle devra quitter avec lui, sa tête qui se tourne en direction de Wildfire avec violence lorsqu'il annonce qu'elle changera de légion. Elle ne sait pas, Yubin, si c'est une bonne idée. La peur de ne pas être acceptée au sein d'une autre légion et d'être traitée comme une étrangère, celle qui débarque comme un cheveu sur une soupe en retard et qui force tout le monde à s'adapter juste pour elle. La peur des représailles, que les quatre autres la chasse au travers du campus parce qu'elle n'aura pas eu le courage de rester au sein de l'escouade. Et elle a envie de dire à son chef que ce n'est pas nécessaire, qu'elle y arrivera; mais les mots ne sortent pas.

Elle a peur, Yubin. Mais en même temps, elle est rassurée.

Elle ose un dernier regard derrière elle, et ses yeux croisent ceux de Callum, perçant, presque meurtrier. Un terrible frisson parcourt son échine, un mauvais pressentiment qui lui donne froid dans le dos, suffisant pour hanter ses rêves dans les jours à venir. Elle s'empresse finalement de sortir, sans savoir quelle est la prochaine étape, sans repère, sans rien. On... on va où? En espérant qu'elle soit en sécurité, là-bas, peu importe où Rae Han l'emmène. Ou qu'elle aille sa place, même. Est-ce que j'ai besoin de mes affaires? Parce qu'ils sont sortis sans qu'elle puisse même rapatrier quelques vêtements pour le lendemain, même si l'idée de retourner dans cette résidence lui redonne la nausée.