One quill, two souls ✎

Son mal de tête ne la quittait plus, ces jours-ci; son pouvoir qui refuse de s'arrêter malgré les efforts décuplés de la capitaine qui n'en peut déjà plus. Elle arrive, au moins, à avoir quelques moments de répit au sein de sa résidence; les membres de son escouade qui ne parlent que coréen, ses propres passe-temps n'étant que dans des langues qu'elle connaît déjà. Les symptômes physiques de l'usage prolongé dudit pouvoir qui s'estompent lorsqu'il n'est pas nécessaire, l'omnilinguisme qui n'agit heureusement pas lorsqu'il s'agit de langues connues. L'anglais, le coréen; elle les parle déjà couramment et ce, avant même son injection. Mais il lui faut tenter de contrôler son pouvoir, elle qui a l'impression que sa pathétique maîtrise de l'omnilinguisme ne vaut rien, alors qu'elle est sur le point d'entamer sa dernière année.

Ses pas la guident donc à nouveau vers la bibliothèque, ayant encore et toujours besoin de prendre un peu d'avance; l'espoir qu'elle arrivera peut-être à prouver qu'il y a eu amélioration à la rentrée, la peur de décevoir son escouade et surtout son chef de légion si elle n'y arrive pas. Son sac est lourd de livres divers, tous écrits de langues différentes. Elle tente, ces temps-ci, d'apprivoiser son pouvoir à l'aide des langues romanes, des recueils de poésie française aux romans portugais, en passant par de vieux écrits latin. Tout pour y arriver, sans trop savoir ce qui peut déclencher ou non ses capacités.

Heeeey, salut toi! Recroquevillée à l'entrée de la bibliothèque, le ton de voix silencieux; elle cherche à s'introduire à ce chien qui se retrouve sans qu'elle sache pourquoi dans la pièce. Mais l'animal repart retrouver son propriétaire, et elle se surprend, Yubin, d'être un peu déçue de ne pas avoir pu lui dire bonjour. De passage aux côtés de l'homme, elle s'incline poliment sans savoir s'il l'a vu, et elle part à la recherche d'un nouveau livre pour l'aider à s'entraîner. Mais son pouvoir actif l'empêche de réellement savoir si elle a attrapé un bouquin d'une langue qui lui est utile, les mots qui s'affichent devant elle que trop familiers.

Un long soupir s'échappe d'entre ses lèvres, la coréenne résignée à demander un peu d'aide à l'inconnu. Excusez-moi... j'ai une drôle de question. Est-ce que vous savez dans quelle langue est ce livre? Elle s'adresse à l'homme en anglais par réflexe, ayant facilement noté sa complexion étrangère, sans savoir s'il maîtrise le coréen ou non. Et elle ne peut pas se fier sur les bouquins qui l'entoure, la coréenne incapable de discerner dans quelle langue sa plume cherche à écrire.

Son regard fatigué se dépose sur les traits de son interlocuteur, puis sur le livre qu'elle tient, puis à nouveau sur son interlocuteur; une mascarade sans fin qu'elle n'arrive qu'à arrêter lorsqu'elle arrive finalement à briser le silence, son mal de tête qui commence tranquillement à la rendre un peu amorphe. La Séoulite avait que trop besoin de pratiquer son pouvoir, en partie parce que sa piètre maîtrise de celui-ci faisait tache dans son dossier autrement exemplaire pour une élève de sa génération, mais également pour le bien de sa santé. Plus les générations font leur entrée à l'école, plus des élèves d'origines variées l'entourent; et ces langues qui bourdonnent dans ses oreilles, les paroles qu'elle ne devrait pas comprendre qui vont et viennent dans son esprit sans avoir besoin de faire l'effort de tout traduire. Pour n'importe quel linguiste en herbe, ce don serait une bénédiction. Pour elle, c'est un enfer, la tête qui veut exploser, les yeux qui fuient la lumière et ce tintement qui ne quitte plus ses tympans.

Et plus les heures et les jours passent sans qu'elle soit capable de désactiver cette abilité, plus les mots se ressemblent, moins elle est capable de savoir à quelle langue elle fait affaire. Spanish, huh... perfect, thanks. Elle s'assoit pas trop loin du jeune homme et son regard se porte vers ses cuisses, là où la tête du chien qu'elle a vu quelques instants plus tôt est venu se réfugier. Sa main gauche vint caresser la tête de l'adorable bête, et, malgré son épuisement, un sincère sourire se dessine sur ses lèvres. Jamais elle n'a eu d'animal de compagnie, son père n'étant pas très chaud à l'idée; sans compter l'aspect financier un peu plus difficile des dernières années. Son attention est portée entièrement vers le canin, si bien qu'elle sursauta légèrement lorsque l'autre étudiant lui adressa à nouveau la parole.

No, not really. It's complicated. La seule réponse qu'elle arrive réellement à formuler sur le coup. Ses sourcils se froncent et ses lèvres se pincent, à la recherche des mots pour expliquer sa délicate situation, sans réellement savoir si l'homme avait envie de le savoir. Mais à la vue de son regard curieux, elle se dit, Yubin, qu'elle lui doit au moins ça. With my power I can... understand every language. So when it's activated, everything kind of just looks the same to me, so I wasn't sure if that book was good to practice with. Une explication un peu simpliste, peut-être. Parce que même s'il est vrai que tous les mots se ressemblent, ces temps-ci, Yubin ne confond pas tout le temps l'anglais et le coréen, surtout écrit à la main. Les typographies tapées à l'ordinateur brouillent les pistes, mais la plume d'un autre?

What about you? What brings you here? Studies? Son regard se dépose sur ce que l'homme semble être en train d'écrire, la capitaine ayant remarqué les papiers froissés. Elle croit que peut-être il tente d'étudier la langue coréenne, même si elle n'en est jamais totalement certaine. Peut-être que si son pouvoir n'était activé que pour quelques heures, elle n'aurait pas besoin de douter. Mais pas après autant de jours, pas avec ces symptômes physiques qui l'accablent.