unfaithful bastard (Angelo)

Grognon. Il l’était à chaque fois qu’il croisait le chemin de Cybelle. Encore plus depuis qu’il l’avait vu à côté d’un type aux mœurs légères qui ne se gênait pas pour flirter avec plusieurs personnes en même temps. De quoi choquer son cœur de romantique non assumé. Arin, il n’avait pas honte de son inexpérience. Trop préoccupé par son chagrin pour penser à des détails aussi futiles. L’amour c’était trop dévastateur pour s’y laisser piéger. Pourtant, c’était la jalousie qui éveillait une telle rage. Il l’entendait gronder, remonter des tréfonds de son âme. Il n’aimait pas ça. Cette violence qui le rongeait. Qu’est-ce qu’il pouvait bien lui trouver à cette asperge filiforme ?

Ah Arin. Il n’était pas le plus doué pour exprimer ses sentiments, et traiter de catin le garçon qui faisait palpiter son cœur n’était pas la meilleure solution pour le séduire. Il ne savait pas faire autrement. Trop souvent rattrapé par ses émotions, une franchise trop brutale qui franchissait la barrière de ses lèvres. Une lutte acharnée pour ignorer l’existence de cet autre qui prenait de la place dans la vie de son Nemesis. Il aurait pu passer à côté, sans réagir. C’était sa fierté malmenée qui le poussait à le bousculer de l’épaule. « Hey, tu pourrais regarder où tu vas. » Refus d’admettre sa faute. Un trait de caractère pourtant destiné au maître des dahlias.

Encore en train de se familiariser avec les lieux, Angelo avait passé la journée à arpenter les moindres recoins du bâtiment,  toujours accompagné. Stacy ce matin, Sidon en début d'après-midi, et il terminait en compagnie de Drax. Depuis l'aube, il les avait trimballé à droite, à gauche, leur faisant découvrir ce nouvel environnement, ces nouvelles odeurs, ces nouvelles personnes. Ses chiens devaient apprendre à apprivoiser leur nouveau territoire autant que lui. Un chien qui obéit est un chien qui se sent chez lui partout. Alors à lui, en tant que maître, de mettre en place ce qu'il fallait pour orienter ses loulous et les mettre en situation de réussite.

Après de longues heures d'imprégnation et de découverte, le maître-chien prit ce couloir probablement pour la vingt-septième fois aujourd'hui, dans le but cette fois-ci de regagner son appartement. Il baissa les yeux sur son téléphone lorsqu'il le sentit vibrer, toujours en continuant d'avancer. Une possibilité de se faire quelques wons rapidement venait de se glisser dans ses DMs, hors de question de la faire patienter. Alors qu'il pianotait sur son écran tactile, l'odeur de Drax se mit à changer. Un mélange de méfiance et de colère. Relevant la tête, il remarqua un jeune homme non loin de lui. Il tenta de s'écarter, mais se trouvant déjà très proche du mur, il ne parvint pas à éviter la collision. Angelo claqua deux fois des doigts pour indiquer à son chien de ne pas bouger.

Et une remarque désobligeante gratuite. L'européen fronça les sourcils; si son chien avait réagi de la sorte, c'est qu'il avait senti l'hostilité du garçon, bien avant le choc. Il venait de passer à deux doigts de se faire déchirer la jugulaire, et ne semblait absolument pas en avoir conscience. ... Euh... OK ? Il ne voyait pas bien quoi lui répondre d'autre. Le type devait avoir passé une sale journée, pour que son animosité transparaisse avant même qu'il n'ait croisé son chemin. Il n'allait pas en rajouter une couche.

C’était un truc incontrôlable. Un truc qui faisait mal. Cette impression que sa cage thoracique se déchirait à chaque fois qu’il le voyait proche d’un autre. Des autres, il y en avait beaucoup. Trop d’émotions emmagasinées pour sa santé mentale. Arin, il n’avait plus rien à perdre, alors se retrouver au milieu des bagarres étaient devenu une habitude. Sauf que la plupart du temps, il ne les cherchait pas. Aujourd’hui, tout était différent. Instinct animal. Un besoin de défendre son territoire. Belle ironie quand il ne remarquait pas immédiatement le chien aux pieds de l’inconnu.

Il en voulait à ce pauvre garçon, au courant de rien. Comment l’être quand lui-même refusait d’ouvrir les yeux sur ses sentiments. Il avait bien conscience de se comporter comme un abruti, ça ne l’arrêtait pas. Il le regard, avec intensité, comme pour analyser ce qu’il lui manquait pour intéresser l’idiot qui régnait sur son cœur. « Quoi ? T’as pas quelqu’un à aller draguer au lieu d’être sur mon chemin ??» Il grognait, agacé par ce qu’il ne comprenait pas. La séduction, c’était intime. Réservée à un seul être. Alors comment cet homme pouvait-il s’amuser de manière aussi dévergondée avec plusieurs personnes à la fois ?!

La vérité c’était que ce n’était pas ses affaires. Que ça n’aurait pas dû l’être. Quand Cybelle était impliqué, il perdait pied.   « T’es tout maigrichon en plus…» Une remarque pour lui-même pourtant faite à voix haute. Le genre d’idiotie qui lui causait des problèmes et lui vaudrait peut-être une morsure de chien protecteur.

Il n'allait pas en rajouter une couche, non. Par contre, il était hors de question pour lui de se laisser marcher dessus. Cette nouvelle intervention était ouvertement dirigée contre lui, et Angelo n'avait pas peur du conflit. Une langue bien pendue et un sens de la justice relativement aiguisé, l'avaient déjà entraîné par le passé dans bien des situations litigieuses. Mais il était de ceux qui croyaient fermement que le silence confortait les bourreaux. Que les non-dits étaient la force des oppresseurs. Alors non, il ne fallait pas compter sur lui pour se taire.

Drax, sit. Stay. ordonna-t-il sèchement à son chien, qui ne lâchait pas l'individu du regard. Très lentement, comme s'il attendait le moindre faux-pas de sa cible pour se jeter sur lui, le Rottweiler consentit à obéir et finit par s'asseoir. Il avait beau n'être qu'en première année, fort heureusement, le dressage de ses chiens ne dépendaient pas que de son pouvoir et était très au point. Le monsieur a quelque chose à nous dire, manifestement déclara-t-il avec un sourire en coin, en plantant son regard au fond des yeux de son interlocuteur. Vas-y, je t'écoute, c'est quoi ton problème ?

Sa remarque sur son physique, il n'y prêta pas même attention. Est-ce que c'était la première fois qu'il se prenait une réflexion sur son apparence ? Non. Est-ce que cela enlevait des zéros sur son compte en banque ? Non plus. Alors il s'en tapait la pizza par terre. Clairement, le vrai problème de ce garçon ne résidait pas dans le simple fait qu'il ose respirer son oxygène. Non, il y avait autre chose. Et Angelo était un peu trop prêt à entrer dans le vif du sujet.

Inconscient. C’était le bon mot. Déclencher une altercation avec un inconnu par jalousie, en occultant la présence d’un chien qui pourrait lui déchiqueter le bras. Signe qu’il fallait rapidement régler les choses avec son Nemesis avant de finir par mettre sa vie en jeu. C’était complètement stupide. Il n’avait clairement aucune idée de la relation que le garçon entretenait avec son…son quoi ? Il n’avait même pas de mot à mettre sur ce que représentait Cybelle pour lui. Connerie. « Moi j’ai aucun problème. » Un haussement d’épaule nonchalant. « C’est plutôt toi qui en a un. » D’après lui, et son esprit un peu trop étriqué. Sa vision de l’amour digne d’un roman de 1800.

Le regard empli de défi, face à un homme dont le seul crime était de vivre sa vie comme il l’entendait. « Je sais pas à quoi tu joues, mais c’est pas correct, de flirter avec plusieurs personnes. » Une en particulier, mais ça, il était bien trop fier pour l’avouer, ou encore moins pour le verbaliser devant l’étranger. C’était comme ça, dans son crâne, lui qui se réservait pour la personne qui partagerait sa vie. Jusqu’à la fin. Une idée bien trop utopique à laquelle il continuait de s’accrocher pour ne pas sombrer. « Tu pourrais blesser quelqu’un. » Arin, ça lui faisait du mal de voir celui qui lui plaisait fricoter avec ce cabot errant.

Déterminé. Angelo n'affectionnait pas particulièrement les disputes, mais il avait suffisamment confiance en lui pour n'avoir aucune appréhension. Il n'avait rien à se reprocher, et n'allait certainement pas laisser un inconnu l'intimider. Et alors qu'il se tenait prêt à lui rentrer dans le lard, il s'apaisa immédiatement en entendant ses derniers mots.

« Tu pourrais blesser quelqu’un. » Il devait bien admettre qu'il ne s'attendait pas à cela. Était-il sincère ? L'amour pour son prochain, était-ce donc la seule raison de son hostilité ?

Il aurait simplement pu lui répondre que cela ne le concernait en rien. Mais sa curiosité était piquée. Il souhaitait voir où cette conversation pouvait mener.
J'ai toujours été très direct avec les personnes que je fréquente. Je n'ai rien à cacher. déclara-t-il d'un ton très calme. En sachant cela, les gens sont tout à fait libres de prendre leurs distances avec moi.

La leçon n'avait pas été aisée à apprendre, mais pour la blague, il vous dirait qu'il est trop vieux pour ces conneries. Qu'il est responsable de ses propres actes et paroles, mais qu'il n'a aucun pouvoir sur les émotions des autres. A son grand âge, il n'a plus le temps de se morfondre pour les souffrances des autres. Cela ne voulait pas dire qu'il cherchait à faire du mal. Simplement qu'avec le temps, il avait appris à ne plus se ronger les sangs pour des situations face auxquelles il ne pouvait pas intervenir. Être respectueux, sincère, direct vis-à-vis de ses interlocuteurs, c'était de son ressort. Et il faisait de son mieux pour honorer ses principes. Comment les autres se comportaient, les sentiments qu'ils pouvaient éprouver à son égard, il n'avait aucun contrôle dessus. C'était un fait. Alors par pragmatisme, il ne prenait plus la responsabilité de ce qui ne dépendait pas de lui.

Le jeune homme face à lui ne ferait pas exception. Il ne cherchait ni à le contredire, ni à le faire changer d'avis. Qui était-il pour prétendre connaître ses émotions ? Il sentait simplement qu'en établissant un contact, aussi maladroit soit-il, le coréen avait quelque chose à extérioriser. Et il avait bien envie d'essayer de prêter l'oreille.

Dans son monde où sa mère les avait abandonné, où son père avait donné sa vie pour eux, sans jamais ouvrir son cœur à une autre femme, parce que malgré tout, elle avait était son plus grand amour. Une vision de l’amour romantique qui ne correspondait pas à sa froideur, à la distance qu’il s’imposait avec le reste du monde. Lui et ses idées toutes faites d’une relation. Une image du bonheur construite par ce qu’on pouvait lire dans les livres.

Était-ce lui l’idiot ? Qui ne savait pas vivre avec son temps ? Qui ne savait pas accepter de partager ce qui lui appartenait ? Un être auquel il offrait son cœur meurtri. Trop de questions. Pas de réponses. Il avait pourtant raison, cet homme. Chacun était responsable de ses actes. Alors Cybelle savait. Ça ne l’empêchait pas de le fréquenter. Une réalisation, comme un coup de fusil en plein ventre.

Les autres. Jamais lui.  « On peut pas aimer plusieurs personnes. » Il en était intimement persuadé.  « C’est pas logique » L’intimité liée aux sentiments. La seule possibilité qu’il envisageait. Alors entretenir des relations charnelles sans affection ? Impossible. Les bras croisés sur la poitrine, le regard sévère, une lueur d’incertitude.  « Tu fais quoi avec Cybelle ? » Il avait besoin de savoir, avant de perdre la tête. Avant que la jalousie n’écrase tout le reste. Le peu d’humanité qu’il restait en lui.

Son vocabulaire fut un peu scolaire, manquant légèrement de naturel dans cette langue qui n'était pas la sienne, mais il sut parfaitement se faire comprendre.

On accepte socialement que les gens puissent aimer des amis, des parents, des frères, des soeurs, mais pas les autres ? C'est plutôt ça qui n'est pas logique. L'amour que l'on porte à chaque personne est différent, et cette différence ne l'empêche pas d'être vrai. Il marqua une pause. Dis-moi, en considérant le fait que nous ne nous comportons pas de la même manière avec la personne que l'on aime qu'avec les autres, comment peux-tu être sûr que la personne soit la bonne si tu n'as pas droit à l'erreur ? Il continua. Et si la personne change ? Et si toi, tu deviens quelqu'un d'autre ? Tu ne seras plus la même personne, après tout, est-ce pour cela que ton entourage doit cesser de t'aimer ?

Angelo détestait les affirmations sans fondements. Il n'en avait peut-être pas l'air, mais il était quelqu'un qui lisait beaucoup, qui aimait apprendre, qui aimait s'instruire. De ce fait, il a toujours eu le réflexe de s'interroger sur le monde qui l'entourait; qu'est-ce qui constituait une vérité ? Quelque chose que le concret et l'objectivité ne peut contredire. Par définition, l'objectivité constituait l'antithèse même de l'émotionnel. Pour que des émotions s'expriment de manière saines, il fallait les écouter. Leur accorder la place qu'elles méritent. Alors il était important de bien les identifier. Est-ce que le garçon en face de lui pensait réellement qu'il ne pouvait y avoir qu'une seule et unique forme d'amour, ou bien était-ce une idée préconçue dont il n'avait pas pris le temps d'interroger la légitimité ?

Et puis, un nom. Et une question. Nous y voilà. Sa réactivité n'était pas un hasard, il l'avait bien deviné. Il n'était pas sûr que la réponse allait lui plaire, mais le mensonge ne faisait pas partie de ses habitudes. Cybelle a posté une annonce indiquant qu'il était à la recherche de modèles pour des photographies de nu artistique. Je suis son modèle.

Il n’arrivait pas à comprendre sa vision. Des paroles qui faisaient sens, mais pas dans son esprit. Il aimait sa soeur, son père. Des âmes disparues. Un amour inconditionnel pour sa famille, différent de celui qu’il portait à son phoenix. Possessif et jaloux, pas du genre à partager. C’était difficile d’imaginer les autres poser les mains sur lui. Bien plus romantique qu’il en avait l’air derrière ses airs froids et distants, Arin, il ne savait pas aimer autrement.  « Quand on aime quelqu’un, on accepte que la personne change. Au lieu d’aller voir ailleurs. Quand on choisi un partenaire pour la vie, il faut se battre pour ça. C’est trop facile de sauter à droite à gauche. Dans ce cas là, ça n’a plus aucune valeur. » Ce n’était pas le genre de conversation qu’il s’était imaginé avoir au détour d’un couloir, avec un inconnu.

 « Un modèle ? Nu ???? C’est tout ? » L’air suspicieux, un peu choqué aussi. Des photos. De combien d’hommes ? Il détestait ça, cette sensation de perdre la tête. Qu’une seule personne puisse avoir tant d’emprise sur son palpitant. Qu’est-ce que ça changerait, de savoir la vérité ? Arin, il ne pourrait pas l’empêcher de papillonner. Il n’était personne pour lui. Juste l’idiot qui passait son temps à l’insulter au lieu de le complimenter.  « Tu l’as trouvé où, l’annonce ? » Peut-être qu’il y aurait encore un chance, de pouvoir prendre sa place. Le faire changer d’avis ? C’était stupide, comme réaction. Immature, pas très saine. Tout ce que Cybelle faisait de lui.