Que la mer emporte nos secrets ft Callaghan Siobhan

Elle s’était éclipsée en silence, laissant son dortoir endormi derrière elle. Haneul n’avait pas réussi à s’endormir ce soir, n’avait pas réussi à trouver le courage et l’énergie, d’une certaine manière. La nuit précédente avait été avec Se Jun et la nuit d’avant à éviter des boules de feu. C’aurait pu être drôle si elle ne se sentait pas juste épuisée. Avant, quand elle était comme ça, Rae Han était là pour l’aider, pour qu’elle retrouve le courage de se laisser dormir. Mais maintenant, elle n’osait pas aller voir un de ses camarades d’escouade ou de légion, n’osait pas aller embêter quelqu’un. Pourquoi forcer quelqu’un d’autre à passer une nuit blanche avec elle ? Les pieds nus dans le sable, Haneul avançait lentement, voyant à peine autour d’elle. Elle connaissait suffisamment la plage pour savoir qu’elle ne risquait pas de se couper sur des rochers, elle savait vaguement où aller. De toute façon, la lune était là pour la guider si besoin. Elle était pleine, ce soir, idéale pour une baignade nocturne en toute discrétion. Et c’était exactement ce dont Haneul avait besoin. Quelques semaines plus tôt, elle avait trouvé cette petite crique par hasard en se baladant sur la plage, un endroit un peu isolé, caché derrière des rochers. Pas de quoi mettre une dizaine de transats, mais juste assez pour nager en paix. Lâchant son sac à dos sur le sable, à une distance raisonnable de l’eau, la jeune femme se déshabilla, ne gardant sur elle qu’une vieille brassière et son short. Ne nageant presque plus, elle ne jugeait pas nécessaire de racheter un maillot de bain, mais peut-être… Peut-être qu’elle devrait investir. Si elle venait régulièrement. L’eau était fraîche, mais la nuit encore chaude si bien que la mer semblait à la température idéale. Les doigts du vent venant emmêler ses cheveux, la jeune femme ne put contenir un sourire avant de se jeter à l’eau dès que celle-ci eut atteint sa taille. Le monde sembla s’effacer alors qu’elle donnait des coups de pied pour plonger. Les yeux fermés, elle se sentit enfin paisible, enfin tranquille. Comme toujours, la mer l’accueillait à bras ouverts. Quelques énergiques mouvements de jambe plus tard, Haneul brisa la surface pour inspirer, un sourire aux lèvres. Elle ne sait toujours pas ce qui la fit se retourner : l’instinct, un mouvement, un bruit… Mais elle se tourna vers la plage, à quels pas de là. Le sable plongeait rapidement, si bien qu’elle ne touchait plus le fond alors qu’elle était encore proche du bord. Mais ce qui l’inquiétait le plus était cette silhouette. « Qui est là ? » Voix dure, peur qui lui serrait le cœur alors qu’elle essayait de reconnaître la personne. Un frisson glacial la parcourut alors qu’elle réalisa qu’il était possible que l’autre voit ses cicatrices, sur son crâne. Elle n’était pas sûre. Elle les haïssait. « Qui que tu sois, dégage. » La meilleure défense est l’attaque. Non ?

La soirée était fraîche, l'air marin caressant doucement le visage de Siobhan alors qu'il marchait tranquillement, se dirigeant tout droit vers ce petit endroit qu'il avait découvert lors de sa première année sur le campus. Cette petite crique, située non loin des dortoirs, avait été son petit refuge pendant de nombreuses soirées. A ses yeux, il s'agissait de l'endroit parfait pour se poser et oublier, ne serait-ce qu’un moment, tout ce qui pouvait bien le tourmenter.. Certes, ce n'était pas exactement pareil que les plages de Galway, mais il pouvait y retrouver ce petit quelque chose qu'il appréciait tant. Avec l'année de césure, et depuis son retour, il n'avait pas vraiment pris le temps d'y remettre les pieds. Avait-elle changé ? Ce n'était pas un endroit très fréquenté après tout, et il imaginait déjà que la nature avait peut-être commencé à reprendre le dessus. Ça ne lui rajouterait que plus de charme, surement…

Il n'avait pas prévu grand chose pour sa soirée, honnêtement, profitant simplement de ce petit temps libre qui s'offrait à lui pour venir y faire un tour. Se poser. Rêvasser. Profiter. Tout simplement. Laisser son esprit vagabonder au rythme des vagues qui s'écrasent sur le sable fin. Mais c'était sans compter sur cette voix féminine qui résonna soudainement jusqu'à lui.

Il s'arrêta net. Un bref frisson lui parcourut le corps, de la tête au pied, visiblement irrité par le ton avec lequel on venait de l'interpeller. Il plissa légèrement les yeux, tentant de distinguer la personne qui s'était adressée à lui, sans succès. Il n’avait pas prévu de partager cet endroit avec qui que ce soit, encore moins avec une personne qui l’accueillait de cette façon. « La plage t'appartient ? » Qu'il répond, presque sèchement. Il pouvait concevoir que certaines personnes puissent ressentir le besoin d'avoir leur propre espace, ou encore d'un simple moment de solitude, tout comme lui. Mais il y avait des façons de le dire, et celle-ci n’en faisait pas partie. Et ce n'était certainement pas ce genre de ton qui allait réussir à l'intimider au point de le faire fuir. « Tu sais quand quelqu'un veut voir personne, y a d'autres moyens de le dire que d'aboyer de la sorte parce que je suis pas sûr que ça fonctionne sur la moitié des personnes présentent ici. » Il valait mieux éviter de s'embrouiller avec le premier venu, surtout quand on n'avait strictement aucune idée de la mutation que pouvait avoir reçu la personne face à nous. Et ça, c'était l'expérience qui le lui avait appris.  Et à vrai dire, ça l'ennuyait surement tout autant qu'elle de trouver quelqu'un ici. A croire que ce n'était plus son coin secret à lui maintenant. Tout en s'approchant un peu plus, rejoignant le centre de la petite plage, il plissa des yeux, tenant de reconnaître la personne, sans succès. Une fois le centre atteint, il s'arrêta finalement. Il ne distinguait toujours pas clairement les traits de son interlocutrice, mais cela n'avait guère d'importance. Il n'était pas là pour se battre, juste pour s'évader un peu. « Détends-toi, j’suis juste venu profiter du coin. »

Haneul avait pensé qu’elle serait tranquille, qu’elle pourrait s’évader seule sans qu’on vienne l’embêter. Manifestement, elle s’était trompée. Il y avait quelqu’un. Un homme. Sa voix ne laissait pas deviner avec précision son âge, juste qu’il n’était pas trop âgé et surtout qu’il n’était plus un enfant. Donc, avec un peu de chance… Ce n’était pas un professeur, un scientifique ou n’importe. Techniquement rien n’interdisait à la jeune femme de se promener la nuit, mais elle ne pouvait s’empêcher d’avoir peur de la réaction de ceux qui dirigeaient les choses, à l’école. Qui avait envie qu’une ancienne ennemie se balade en pleine nuit ? Mais peut-être qu’il aurait été plus sage d’interpeler l’inconnu en étant moins… Agressive. Vu son ton, il n’avait vraiment pas apprécié. Et s’il était effectivement quelqu’un qui n’approuverait pas qu’elle soit ici… Eh bien elle venait de lui donner un très bon prétexte pour se venger ou n’importe. Qu’on la traite de paranoïaque, mais Haneul n’avait toujours pas entièrement digéré son arrivée en Corée du Sud. « Désolée. Je ne voulais pas être aussi agressive. » Ce qui ne voulait pas dire qu’elle ne pensait pas ce qu’elle avait dit. « Juste… Ne t’approche pas. » Avec un peu de chance, tant qu’il restait loin il ne la verrait pas bien et ne pourrait donc pas la reconnaître. Décidant malgré tout de prendre quelques dispositions pour se protéger, la jeune femme donna des coups de pieds, s’éloignant un peu plus de la plage et donc de l’inconnu. Elle aurait aimé qu’il s’en aille ou au moins réussir à faire abstraction de sa présence, mais… Elle n’en était pas capable. Même plonger sous la surface ne parvenait pas à la détendre. Plus maintenant. Avec un soupir silencieux, Haneul finit par laisser tomber et nager jusqu’à ses vêtements. Enfin plus précisément jusqu’à la plage car, forcément, l’inconnu était près de ses affaires. Arrêtée, de l’eau arrivant au bassin, la jeune femme hésita. Elle ne voyait pas son visage, sa silhouette était tout juste un peu plus nette. Repensant à ses paroles précédentes, la nord-coréenne sentit la culpabilité l’envahir. Elle n’était pas comme ça. Elle n’était pas méchante, ce n’était pas elle. Elle n’aimait pas ce que la vie, le Sud, avait fait d’elle. « Je suis vraiment désolée. C’est juste que… Il y a des choses que je ne veux pas qu’on voit. J’ai paniqué. Ce n’était pas juste envers toi… Vous ? Euh… Enfin… Voilà. Désolée. » Ses joues chauffaient, mais heureusement s’il ne pouvait pas voir son visage, il ne verrait rien. Même si sa voix l’avait probablement trahie…