stars & raindrops (eero)

Assise les jambes croisées sur son lit, son téléphone lassement déposé en face d'elle, ses yeux qui fixent l'écran et ses mains incapable de rester immobiles. La nervosité s'empare d'elle, même si quelques minutes auparavant elle était certaine de sa décision, convaincue hors de tout doute qu'elle était prête. Et elle a pensé à tout, sauf peut-être à la météo qui semble vouloir faire des siennes même si le ciel reste suffisamment dénué de nuages pour mener à bien l'activité nocturne prévue. Les quelques items qu'elle a emprunté du club d'astronomie (avec permission) dans un coin de la chambre n'attendent que l'arrivée d'Eero, tout comme Yubin; sans toutefois partager cette agitation qui remue son âme et qui noue ses entrailles d'une vigueur qui lui redonne presque la nausée.

Ses émotions et ses pensées sont sans dessus-dessous, entre les événements qui chamboulent sa vie familiale et la place plus importante que Nova prenait dans la vie de son ami, entre son ancien camarade d'escouade qui revient la hanter et l'envie de se tenir la tête haute, fidèle à elle-même et son bagage. Ses pensées ennuagées par les divers scénarios de sa vie et leurs scènes tout aussi terrifiantes que chaleureuses, si bien qu'elle ne capte plus ce qui se passe autour d'elle, la porte qui s'ouvre, les pas d'Eero se rapprochant et sa voix qui peine à la sortir de cette transe.

Son regard toujours rivé vers le bas, ses ongles qui grattent la peau de son poignet gauche un peu trop vivement, le reste de ses membres qui tremblent juste assez pour n'être qu'observable si on porte trop attention. L'ombre du dragon apparaissant dans son champ de vision fut, toutefois, suffisante pour la faire sursauter. Revenir sur Terre pour mieux s'en échapper plus tard. Fuck! Ah, désolée, je... Inspiration, expiration; et sa main droite, maintenant libérée de sa prison anxieuse, vient frotter son visage en guise de tentative de reprendre ses esprits.

Ça a été, ta journée? Le soleil levé, la nuit venue; même s'ils partagent la même chambre, c'est la première fois qu'elle le croise depuis son réveil tardif, elle qui fait un effort conscient de ne pas se surmener avant même que les cours commencent, par ordre de Ice Raven lui-même. Restant assise, les jambes toujours croisées, elle change néanmoins de position pour lui faire face, sourire gêné aux lèvres. Jamais elle ne dictera à quiconque quoi faire de sa journée, sauf si son rôle de capitaine le requiert; mais Eero lui manque. Elle ne le côtoie plus aussi souvent qu'avant, et elle a parfois l'impression de perdre ses repères lorsqu'il n'est pas à ses côtés. Si t'es encore partant... Elle pointe le coin de la pièce, là où le télescope emprunté attend patiemment son tour. Mais il faut se dépêcher avant qu'il y aille trop de nuages, si on veut être capable de voir quelque chose. Même si les résultats ne seront pas parfaits, la pollution lumineuse provenant des différents bâtiments de l'île qui empêche de bien voir les astres à l'oeil nu.

Les paupières s’affaissent sur la carcasse étalée de celle qui ne l’a pas vu, bien qu’ils disparaissent du champ de vision de chacun depuis quelques jours, déjà. Sans doute les circonstances et le temps jouant contre eux, retrouvant une place vide dans une chambre qui s’est habituée à leurs rires et leurs silences apaisants. Ses iris dérivent vers le télescope, avant de revenir vers celle qui lui octroie un sourire qu’il ne saisit pas. Il secoue un peu la tête dans une nouvelle manie qu’il ne possédait pas par le passé. Ses genoux s’affaissent et il vient poser ses bras croisés contre le lit, relevant le visage vers sa cheffe d’escouade dont il ne sait rien.

— Ce n’est pas vraiment à moi qu’il faut poser cette question. Je n’insisterai pas, cela ne sert à rien. Il se relève et tend les paumes. Viens.

Il attend les phalanges contre les siennes, octroyant quelques caresses d’une affection sincère envers celle dont il partage cet endroit depuis des années. Ce manque de ne plus confier les mots qui se bousculent dans son crâne, s’effaçant vers d’autres silhouettes qui prennent le temps d’échanger sur ses tourments. Peut-être ne sont pas ce dont il a besoin, toutefois, il n’enclenche plus les mécanismes qu’il pouvait avoir par le passé. Il se doit de changer, d’aller au-delà, même en trébuchant, l’aidant à se mettre sur ses pieds et arriver vers l’appareil. Il se place à ses côtés, l’écoutant avec attention sur les explications qu’elle peut ainsi lui offrir.

— D’accord. Ce n’est pas grave s’il n’y a pas grand-chose. On peut toujours être surpris.

Le temps est capricieux, après tout. Les nuages peuvent joncher l'horizon et se faire renverser par une pluie goutteuse ou par un soleil accueillant. Le dragon sait qu’il ne comprendra pas la façon dont tout fonctionne pour une première fois. Cependant, en bon petit soldat, il s’aligne selon les mots et essaie de visualiser ce qu’elle lui explique. Il n’est pas contre découvrir une nouvelle activité, surtout aussi douce et plaisante et tant qu’il peut passer du temps avec sa voisine, cela lui convient très bien. Il ne cherche plus à vouloir entrer dans le monde de celle qui le rejette, ayant saisi sa place. Il le sait, bien qu’il reste quoiqu'il advienne pour elle. Rien ne changera de son côté, depuis le début.

Elle a déjà l'impression d'avoir tout gâché, les mots de son ami qui résonnent au creux de son encéphale et qui se répètent de manière sidérante. Ses yeux dirigés vers le sol, les lèvres pincées, elle se maudit d'être comme elle est, de réagir de la manière qu'elle réagit, d'être celle dont Eero n'a plus besoin. Peu à peu elle perd ses repères, incapable de retrouver cette rassurante lueur qui la guide, émanée par ces quelques personnes qui illuminent ses jours et ses nuits. Et son coeur se sert, sa gorge se nouent et son corps entier se fait lourd alors qu'elle sent l'envie d'exploser en larmes arriver au grand galop, si difficile à chasser.

Et pourtant, son regard croise celui de son cher ami, agenouillé au sol; ses mains qui se déposent dans les siennes instinctivement, recherchant désespérément la moindre prunelle de rassurance disponible. Et elle sourit, Yubin. Un sourire sincère, un sourire qui lui redonne une certaine légèreté et qui arrive à chasser d'un coup sec toutes les inquiétudes et les remords qui auront eu le temps de s'installer en l'espace de quelques secondes. J'ai passé une journée... tranquille. Je suis allé au club chercher des trucs, j'ai mangé, j'ai joué à Zelda et j'ai fait un tout petit workout ce matin, juste pour pas être complètement détruite quand les cours recommenceront. Elle répond à sa propre question, se disant qu'elle ne partage pas suffisamment ce genre de détails candides avec lui. C'est un début, une manière de se pratiquer pour plus tard. Et toi? Ta journée? Parce qu'elle veut tout savoir, même s'il n'a pas besoin de lui dire. Elle s'informe, elle s'inquiète, elle s'intéresse; tout pour cette âme devant elle pour qui elle ferait tout.

Son corps accepte volontiers l'aide que Eero lui offre pour se relever, et elle attrape son téléphone laissé en plan sur ses draps pour ne pas le perdre, avant de pointer l'équipement emprunté. Elle espère, Yubin, qu'il est sincère lorsqu'il dit être partant pour l'activité. Elle ne veut pas s'imposer, elle a peur de prendre trop de place dans cette vie où elle a toujours laissé les malheurs des autres dicter sa voie. Effrayée à l'idée qu'il ait accepté à contrecoeur de la suivre dans une aventure qui la rendra on ne peut plus vulnérable, même s'il ne sait rien encore de ses intentions.

Mais elle chasse ces frayeurs d'un hochement de tête, ceux-ci que bien trop fréquents depuis les dernières semaines. T'as raison! On pourra passer un bon moment quand même, non? Ses mains attrapent avec délicatesse le télescope, préférant être celle qui s'attirera les foudres du club si elle venait à briser quelque chose bien que les chances soient minimes. Tu crois que tu peux attraper l'autre sac? Il est pas trop lourd, y'a que quelques autres petits trucs à l'intérieur, des couvertures, des snacks, des chartes, tout ça. Elle aurait pu s'en occuper, sac sur les épaules et télescope dans les bras; mais elle fait un effort, elle doit arrêter de se surmener et d'avoir si peur de demander de l'aide. Peut-être que ces quelques petits gestes l'aideront à normaliser le tout.

Finalement, elle sort de la chambre en premier, entraînée par cette agitation, l'ardeur de tout lui montrer de ce passe-temps qui guérit ses maux et répare les fissures de son âme. Bye Nelson, reste sage, on revient bientôt! Mais les deux pieds dans le corridor, elle s'arrête dans son élan, les sourcils froncés. L'ascenseur s'arrête sur le toit, ou il faut prendre les escaliers? Heureusement que rien n'est bien lourd.

Il est surpris par les mots prononcés, ne s'étant pas attendu à ce qu'elle converse au sujet de sa journée. Il cligne des paupières, avec faiblesse et stupéfaction, renouant avec son cerveau.

— C'est... bien. Notre cheffe d'escouade essaie de ne pas procrastiner et veut se montrer toujours aussi compétitive ?

Il sait qu'elle possède ce tempérament, autant que celui qui essaie d'être confiant pour ne pas se ruiner sous le manque de confiance. S'ils s'entendent aussi bien, c'est pour cette raison. Ces traits de caractères communs qui entremêlent ces âmes, quand bien même le dragonneau est trop destructeur pour elle. Il m'entrainera vers le bas.

— Je n'ai pas autant d'activités que toi, il faut croire.

Il l'aide à se relever, apposant d’autres mots pour convaincre celle-ci que les nuages ne chasseront pas ce qu’il y a de plus précieux. En aucun cas, même s’ils ne voient pas ce qu’ils désirent, tant que le moment est partagé, ensemble. De toute façon, à l’heure actuelle, il ne possède que ses réflexions et ses prises de consciences, avançant avec lenteur vers les hauteurs. Il essaie de se faire une raison et peut-être alors, les choses avanceront. Il le souhaite de tout son cœur, en hochant la tête pour récupérer le reste des affaires et la suivre à pas lent.

— Je ne sais pas, mais on pourra porter à deux si vraiment, on ne peut pas atteindre le toit par l’ascenseur. Si tu peux le porter, c’est que ça ne doit pas peser lourd.  

Il s’essaie dans un humour hasardeux, tout en la bousculant de l’épaule avec un sourire narquois. Ils auront de quoi grignoter, poser sur leurs épaules en cas de fraîcheur – bien qu’il pense celui-ci abstrait en vue des températures chaudes. Néanmoins, autant en avoir trop que pas assez, le regard tourné vers celle qui essaie toujours de se débrouiller toute seule, même si elle boîte, si elle éprouve des difficultés. Et il ne peut pas lui en vouloir, étant un peu semblable dans le fond. Il lui ouvre les portes, la laisse passer avant lui afin de maximiser le temps et de pouvoir faire en sorte de ne pas casser ce précieux objet.

— Et si tout se passe bien, quel est le programme ? Un vocabulaire spécifique ?

Qu’elle lui appose ses directives, tout ce qu’elle va lui faire découvrir dans cet univers qu’il ne connait pas.

Sa réaction a pour effet de la faire rire légèrement, quelque chose de tendre mais qui s'échappe de sa gorge sans qu'elle le veuille. La réalisation que, même si elle fait des efforts, même si elle essaie de se ménager, elle ne changera probablement pas. Toujours alimentée par la compétition, toujours le besoin de prouver qu'elle a sa place ici, toujours la nécessité d'être meilleure pour protéger ceux qui en valent la peine. Pas le choix, si on veut être au top le mois prochain. Et en se relevant, elle se surprend à soupirer, comme pour essayer de se convaincre de mille et une choses qu'elle a du mal à croire elle-même. Mais il le faut. Mais je te promets que j'essaie de pas me surmener, okay? Elle devrait se le promettre à elle-même, mais elle n'arrivera pas à tenir cette promesse si elle ne le fait pas pour autrui, pour lui, pour ne pas l'entraîner davantage vers le bas alors qu'elle a déjà l'impression d'être en chute libre.

Et elle note qu'il n'a pas répondu à sa question, pour une deuxième fois; le coeur qui pince, l'impression que peut-être elle mérite ce manque de transparence de la part de son ami, le karma qui lui fait subir le retour de la balance. Sans oser insister davantage, espérant simplement que les détails viendront au fil de la conversation, qu'il continue de lui faire confiance alors qu'elle tente finalement de vaincre ses peurs. Tu pourrais, tu sais que tu as le droit de jouer à mes jeux si t'as envie. Un rare privilège accordé au dragon qui partage sa chambre, Yubin étant habituellement protectrice de ces quelques items qui l'ont aidé à passer au travers d'une difficile vie. Elle offre une confiance aveugle à Eero, sachant qu'il respectera la sanctité de ses effets personnels. Ou ensemble, si ça te dit. Parce qu'il n'ose peut-être pas, parce que peut-être lui offrir une séance de jeu lui permet de trouver une nouvelle excuse pour rester près de lui.

Elle a si peur de le perdre, lui qui agit comme phare dans sa vie. Guidant ce bateau qui peine à garder le cap au travers des pires ouragans, lui permettant de se frayer un chemin au travers des nuages jusqu'à la sûreté du rivage ne serait-ce que temporairement, avant la prochaine tempête. Elle tente tant bien que mal d'apprécier ces moments de moins en moins nombreux avec lui, comme une gamine qui agrippe du bout des doigts les vêtements de sa mère pour ne pas se perdre dans la foule. Chaque teinte d'humour, chaque opportunité, chaque sourire et bousculade amicale. Elle se les approprie, elle les accueille chaleureusement, cherche même à prolonger les moments si elle en est capable. Tu sais que je suis plus forte que j'en ai l'air, hein? J'ai peut-être pas tes muscles de mecs mais tu serais surpris de me voir à la salle, j'te dis! Son bras qui se gonfle pour prouver ses dires, la capitaine qui peut au moins compter sur une force physique qui peut en surprendre plus d'un malgré son apparence chétive.

D'un prosternement humoristique, elle le remercie, à sa façon, d'avoir ouvert la porte; et elle libère sa main temporairement pour appeler l'ascenseur, un simple bouton à appuyer, sans danger. Hmmm... on verra? Si on peut voir des constellations, je te les apprendrai. Peut-être qu'on pourra voir une planète, qui sait? Du fond du coeur elle espère, Yubin, que tout sera parfait. Que les astres qui brillent le plus fort soient visibles, qu'elle puisse lui montrer ces formes que les étoiles dessinent au ciel, honorer cette personne si précieuse pour elle de ses connaissances et ses secrets.

Elle y songe et elle espère presque à mains jointes jusqu'à ce que la porte de l'ascenseur s'ouvre au terminus, la machine qui ne se rend finalement pas à cette destination ultime. Ah ouais, c'est le dernier étage. Faudra monter le reste par les escaliers, mais au moins on est presque arrivé. Qu'un étage de plus à monter d'eux-même, quelques escaliers à affronter. Rien de dramatique, rien qui ne l'empêchera de lever le poids du télescope jusqu'à leur destination. Tu peux m'aider? D'un signe de tête, c'est la porte vers l'extérieur qu'elle montre, un peu trop lourde pour être poussée sans mettre en danger l'intégrité de l'appareil.

Et dès qu'elle met les pieds dehors, ses yeux s'agrandissent, le regard ébloui par la scène qui s'offre devant les deux dragons. Aaaah génial Eero, on les voit super bien! Ses iris qui fixent instinctivement l'astre qui brille le plus fort, et les souvenirs de sa tendre mère reviennent au galop, le coeur lourd; une lueur qu'elle peinait à voir ces derniers temps, qui lui manquait tant. Obnubilée par sa présence, l'impression que plus rien autour d'elle n'existe. Que son âme et celle au ciel, l'espace d'un court moment.

Une brève esquisse se dépose à travers ses lèvres, remontant jusqu’à ses yeux, cette fois.

— Alors, parle. Dis-moi quand tu auras envie de jouer. Dis-moi quand ça ne va pas, quand tu as faim. Révèle-moi si le télescope est trop lourd ou si tu es fatiguée, petit soleil de ma vie. Déclare-il en la suivant jusqu’à l’ascenseur. Même si tu ne sais pas les gérer, si tu en as l’impression, je serai là. Rien n’a changé entre nous. Et on ne sera jamais seul.

Il ravale ce qui le dérange au fond de sa gorge, cette sensation d’en dire trop sans que cela soit écouté. Le regret d’émettre des mots qui ne sont jamais pris en compte, dans une émotivité non contrôlée, non souhaitable et souvent alambiqué. Entre son désir de recueillir les larmes de ceux qui le font rester sur cette Terre et celle de son impossibilité de tout ce qu’il ressent lui-même, comme une pièce sans issue, attendant de dépérir en silence.

— Ce n’est pas grave si ne nous voyons pas tout cela. Dans un sens, je ne souhaite pas, fit-il en dérivant ses rétines vers son interlocutrice. Parce que cela voudrait dire qu’on ne pourrait pas avoir des excuses suffisantes pour d’autres séances, n’est-ce pas ?

Perdu dans leurs songes jusqu’à l’arrivée, l’aidant dans un hochement de tête silencieux, en récupérant l’amas qui ne pèse rien. Jusqu’à entrevoir ce qu’ils recherchent, déposant les affaires au sol et passant une paume dans le dos de celle qui s’illumine dans cette passion méritée. De souhaiter que cela puisse continuer, ce sourire et cet éclat, sous la main qui longe la colonne vertébrale dans un réconfort qui n’a pas besoin de mot pour se faire comprendre. L’ombre de cette lumière qu’elle représente sans le savoir, aussi voyante que les astres au-dessus de leur tête et voilée lorsque le moment n’est pas prompt à son apparition. Sa cheffe d’escouade est ainsi faite, que l’on gravite et s’émerveille autour d’elle dans un naturel déconcertant, s’efforçant de ne pas s’écarter tout en restant en arrière.

— Dis-moi comment on place tout ça et tu pourras me commencer les cours théoriques, la prof. Ou l’étoile de ma vie, maintenant, je devrais dire.

Eero est un nuage qui accentue les orages et les courants, qui effraie par son bourdonnement et il n’en veut à personne de s’encapuchonner pour ne pas l’entendre. Ni même apercevoir les éclairs qui affaiblissent la vue et électrocutent de son toucher, l’appréhension d’être trop près et d’en subir les séquelles. Ce n’est pas grave. Le soleil revient toujours avec son odeur significative et chaque silhouette plus soulagée une fois le temps noir déguerpit de leur vie. Il se montre docile et avenant, s’évertuant à s’atteler à sa tâche, à comprendre ce qu’elle lui explique et se concentrer, avec ce petit froncement de sourcil et cette tignasse dont il essaie de prendre soin. Dorénavant. Qu’elle demeure dans son petit paradis. Même s’il ne fait que l’observer avec discrétion, qu’il ne sera plus invité ou qu’il ne sera jamais le confort nécessaire, tant qu’elle conserve ce sentiment, c’est tout ce qui importe.

Elle a envie de se pincer les lèvres et de mordre l'intérieur de ses joues si fort, pour ignorer cet affreux serrement dans son coeur qui survient lorsqu'il semble la sermoner de ses mots. Des critiques qu'elle mérite pleinement, même si elle aurait aimé être capable de lui faire part de tout ce qu'il mentionne plus facilement. Les paroles qui restent coincées dans sa gorge, les pensées qui répètent sans cesse qu'elle ne devrait jamais rien dire, que tout le monde la trahira un jour où l'autre, Même si son coeur refuse de croire que Eero sera l'une de ces personnes. ... okay. Promis, Eero. Une autre promesse, une autre tentative d'être mieux pour lui, parce qu'il mérite mieux que ce qu'elle a pu réussir à lui offrir.

C'est ce qu'elle se dit et qu'elle se répète, et elle peine à masquer cette surprise dans son visage lorsqu'elle semble l'entendre parler du futur, de vouloir passer plus de temps ensemble. Pourquoi voudrait-il d'elle à nouveau? Yubin, elle ne comprend pas. Mais elle se sent chanceuse, trop même, de l'avoir dans sa vie. Tu serais surpris, tu sais. C'est vaste l'astronomie, et le ciel change à tous les jours. On peut avoir un nombre infini de séances, si on veut.

Distraite par cette étoile, elle sursaute malgré elle lorsqu'elle sent sa main dans son dos, le contact qui la propulse hors de ses songes. Elle lui envoie tout de même un timide sourire, le regard qui se dépose dans le sien. Sourire troqué par de la gêne, le regard qui fuit soudainement, le coeur qui n'était pas prêt à ce nouveau surnom qui la fait réagir plus fortement qu'elle ne l'aurait voulu. C'est moi, ou tu essaies de me faire rougir ce soir? Elle rit doucement, une main qui passe frénétiquement dans ses cheveux comme pour tenter de reprendre ses esprits. Parce qu'il faut reprendre son sérieux, si elle veut arriver à tenir ces maintes promesses faites à elle-même et à voix hautes.

Bon, il faut juste... ouvrir le... Mais la voilà qui se bute à un obstacle que même les muscles dont elle s'était pourtant bien vanté quelques instants plus tôt n'arrive pas à résoudre. Elle essayera une fois, deux fois, et elle grogne avant même de tenter une troisième fois. Elle lève la tête et ses yeux croisent ceux de Eero, et elle se dit, Yubin, qu'elle devrait continuer à tenir cette nouvelle promesse. ... est-ce que tu pourrais m'aider, monsieur muscle? La dernière personne à l'avoir utilisé a refermé le trépied un peu trop fort. Elle attend sagement, prête à intervenir s'il fallait réunir leurs forces.

Heureusement, l'obstacle n'aura pas été aussi impostant que prévu. ... okay, voilà. Merci, Eero. Le trépied s'ouvre et le téléscope s'ancre au sol, solide, grâce à leurs efforts respectifs. Alors une fois le trépied bien ouvert et bien positionné, il faut juste angler le téléscope là où on veut regarder. Je vais choisir le premier endroit, et je te laisse choisir le deuxième tout à l'heure? Une excuse comme une autre pour lui parler de cette astre brillant si fort, celui qui captive ses iris et distrait ses pensées.

À ce temps-ci de l'année elle se doute, Yubin, de cette étoile qu'elle aura réussi à observer à l'oeil nu. Mais avant d'enseigner n'importe quoi à son ami, elle s'accroupit devant le sac déposé préalablement, à la recherche d'une boussole. Avec le temps et l'habitude, elle sait où les constellations majeures se trouvent, leur direction, leur emplacement approximatif dans l'espace selon la rotation de la Terre. Et même si elle pourrait reconnaître ladite constellation immédiatement dans d'idéales conditions, elle préfère confirmer avec certains outils, les yeux qui n'arrivent pas à bien voir les étoiles plus faibles de par la polution lumineuse qui reste toujours sur l'île.

Un sourire se dessine sur ses lèvres lorsque la boussole lui indique la direction prévue; et elle s'affaire à bien positionner l'objectif en direction de cette constellation si importante pour elle: Canis Major, le Grand Chien, hébergeant l'étoile la plus brillante de la nuit. Sirius, la première que Yubin aura étudié, celle qu'elle associe le plus souvent à sa mère qui lui manque tant. Hm... je change l'angle un peu attend... okay, parfait. Tiens, je te laisse regarder, dis-moi ce que tu vois. Je t'expliquerai en détail ensuite, okay?. Elle laisse la place à Eero, ses propres yeux qui continuent à fixer ladite étoile sans appareil. Et elle a l'impression de se laisser à nouveau emporter par sa vision, sa main qui cherche presque désespérément à agripper l'avant-bras de Eero pour rester sur Terre, avec lui.

— Pas de promesse, yuyu. Ce n’est pas une obligation, ni même un contrat ou quoi que ce soit d’autres. Si tu ne le fais pas, ce n’est pas grave.

Pas grave. Il a l’impression d’émettre ces propos envers tout le monde. Ce n’est pas grave, si on ne se confie pas à lui et délaisse un silence. Ce n’est pas grave, si on dérive de sa personne pour quelqu’un de plus méritant. Ce n’est pas grave, si on ne répond jamais à ses demandes ou tout ce qu’il peut dire pour les autres. Ce n’est pas grave. Il a envie de hurler et de s’arracher la bouche à chaque fois qu’il le dit à haute voix et encore plus ses cheveux pour fracasser son crâne de ressentir tant de douleurs à ce qu’il accepte. De soulever les épaules en soufflant « qu’ils ont le temps pour ça », pour qu’elle puisse comprendre qu’il ne se détournera pas pour si peu. Même s’il n’y aura qu’un soir parmi les promesses d’autres, il ne s’en offusquera pas, se disant que le temps ne le leur permettra pas ces folies. Ce n’est pas si grave.

Même en retirant sa main à la suite de ce sursaut, comme s’il l’avait brûlé et qu’il y exerce une pression pour le lui rappeler. Il soulève les épaules avec un sourire qui se veut taquin, soufflant un « peut-être bien », avant de revenir vers son problème et de l’aider sans un autre mot. Réussissant après un petit jeu de force à ouvrir le trépied et l’aider à le stabiliser. Il hoche la tête, bien qu’il ne sache pas vraiment de quel autre endroit, elle peut parler. Il ne connait rien à cette discipline, pas plus que quelques notions dont il a effectué quelques recherches avant de se retrouver ce soir. Pour ne pas paraître comme un idiot devant sa cheffe d’escouade qui s’évertue à lui offrir cette merveille. Il ne veut pas… Il ne veut pas de ce qu’il prononce depuis tout à l’heure et toute la sensation que cela lui provoque, qui ravage sa poitrine et le comprime avec terreur.

— D’accord. Il s’approche et prend sa place, observant l’objectif et ce dont elle essaie de lui faire entrevoir par cette lunette. Tu peux m’expliquer, si tu le veux, je suis capable de faire deux choses à la fois.

On peut en être surpris, mais il pense pouvoir s’en sortir entre des explications sur cette boule qu’il voit et regarder avec curiosité. Son regard est bien plus tendre, les yeux ronds comme ceux des enfants, empli d’une immense innocence dans ses iris. C’est rare de constater autant de changement de sa part, surtout lorsqu’il découvre quelque chose de nouveau.

Je sais. Mais je promets quand même.

Parce qu'elle tient à cette promesse, Yubin; parce que ça fait trois ans qu'elle aimerait avoir quelqu'un à qui se confier, à qui elle peut librement parler sans avoir l'impression que son coeur veut s'échapper de sa cage thoracique. Parce que ça fait si longtemps qu'elle aimerait simplement pouvoir demander de l'aide à quelqu'un sans avoir l'impression d'être un échec malgré les efforts qu'elle fait pour quiconque, que ce soit son escouade ou son père. Si elle ne le fait pas, c'est qu'elle n'aura pas réussi sur le moment; mais elle réessayera, habilement ou non, jusqu'à ce que tout soit seconde nature. Et elle chasse ses réflexes premiers en cherchant son aide pour ouvrir ce trépied, sans trop savoir s'il a remarqué. Mais au moins, maintenant, la scène est mise.

Un doux rire s'échappe finalement de sa gorge, sourire amusé qui se forme sur ses lèvres. Okay. S'assurant qu'il a toute la place qu'il a besoin pour bien observer, qu'elle ne cache pas l'objectif. Ses yeux qui observent à l'oeil nu ce qu'elle sait reconnaître par habitude, prête à lui donner toutes les informations bien stockées dans son cerveau. C'est la constellation du Grand Chien, celle avec l'étoile la plus brillante du système solaire. Elle s'appelle Sirius. Sans trop réaliser, elle s'approche, cherchant à diminuer la distance entre eux, l'âme qui requiert cette proximité avec son ami pour la suite des choses. C'est, uh... c'est une constellation importante pour moi. La première que j'ai étudié, en fait.

Profonde inspiration. Les lèvres entrouvertes, les mots qui ne sortent pas. Fuck, un mot qui se met rapidement à se répéter dans ses pensées alors qu'elle sert le poing, se forçant à respirer une deuxième fois, à peut-être réessayer. ... quand j'étais plus jeune, on m'a dit que quand quelqu'un meurt, leur âme se transforme en étoile et qu'elles brilleront fort si elles veillent sur toi. Elle sent déjà cette boule se former dans sa gorge et son coeur battre la chamade, mais elle a finalement réussi. Après si longtemps, les mots arrivent finalement à s'échapper; et peut-être seront-ils maladroits, peut-être ne feront-ils que peu de sens. Elle rectifiera le tir s'il le faut. Alors à chaque soir je cherchais l'étoile la plus brillante en me disant... je sais pas, peut-être c'est celle-ci que ma mère est devenue. Un de ses secrets qui tombent, juste comme ça, comme un poids qui se lève finalement de ses épaules. Une simple plume en comparaison avec le bagage d'acier qu'elle traîne, mais un début tout de même. Avec le temps j'ai compris que c'était que des histoires, mais ça m'apporte quand même un certain réconfort. C'est peut-être stupide, je sais pas.

Et les mots ne sortent plus, les dernières syllabes qui auront réussi à être prononcées de peine et de misère. La gorge en feu, la trachée qui peine à recueillir suffisamment d'air pour ses poumons. Sa main libre qui vient essayer de masser son cou à la recherche d'un peu d'apaisement de ce côté, sa main la plus proche de Eero qui agrippe son avant-bras peut-être un peu trop fort. Et elle tremble, Yubin, comme si elle venait d'avouer avoir commis un crime, comme si elle n'avait pas le droit de s'ouvrir ne serait-ce qu'un minimum à cette personne qui partage sa vie depuis trois ans. Eero, celui qu'elle considère sans doute être la personne la plus importante dans sa vie.

Anyway... Elle crache presque le mot, la voix rauque. Et elle se racle la gorge, essayant de reprendre le dessus. On voit pas très bien l'ensemble de la constellation ce soir, mais toutes ses étoiles sont censées prendre la forme d'un chien. Elle reprend la charte qu'elle a, semble-t-il, accidentellement échappé au sol; et elle lui tend, lui indiquant d'un doigt tremblant ladite forme animale, facilement discernable contrairement à d'autres. Si tu veux, tu peux choisir une des formes de la charte et je te dis si on peut l'observer ce soir. Et juste comme ça, elle retombe encore dans ses mauvaises habitudes. Ignorer ce qui la tracasse, arrêter de parler si subitement et changer de sujet dès la première occasion.

À nouveau, elle inspire profondément. Elle doit tenir cette promesse, elle y tient. Hésite pas si t'as des questions. N'importe lesquelles. Concernant les étoiles ou l'espace, concernant ce qu'elle lui a dit, concernant n'importe quoi. Parce qu'elle se dit, Yubin, qu'il voudra peut-être en savoir plus. Mais elle ne sait pas comment aborder davantage le sujet, que ce soit les circonstances, son âge lors de l'événement, ou quoi que ce soit d'autre. Elle a besoin de son aide pour continuer à rester un livre ouvert pour lui, mais elle ne sait pas comment lui demander.