Halfway down ► Jiyeon ♥

Les yeux rivés sur ma paume, j’en ressentais encore la pression du métal glacé de la poigné à laquelle je m’étais accroché plus tôt dans la journée. Je vacillais entre deux émotions contradictoires : la joie et le soulagement de retrouver Jiyeon, mais le doute et l’incertitude quant à notre relation. Qu’en était-il aujourd’hui ? Elle m’avait abandonné, sans un mot, sans même chercher à expliquer. Si j’éprouvais encore la sensation de ses doigts sur mon poignet, je n’oubliais pas non plus celle de ma poigne sur les siens... Je n’étais plus le même, et peu importait qu’elle m’ait accompagné dans cette mutation, je lui avais fait du mal... Retrouve-moi ici ce soir...  

Je pesais le pour et le contre avec l’aide d’une bouteille désormais vide. La rejoindre me paraissait être une mauvaise idée, tant pour sa sécurité que pour la vie qu’elle voulait se créer... sans moi. Mais alors que l’horizon commençait à tanguer, je me redressais et attrapais ma veste. Je faisais sans doute le mauvais choix, mais je me laissais guider par l’impulsion d’un besoin qui me semblait vital. Sans même un regard pour l’horloge qui annonçait pourtant mon retard, je me mettais en chemin et dévorais les quelques mètres qui me séparaient de l’infirmerie. Le soleil déclinait à vue d’oeil et j’espérais - tardivement - qu'elle était encore dans son bureau.  

Sans perdre davantage de temps, je déboulais dans le bureau que j’avais découvert plus tôt... vide. A quoi m’attendais-je ? Je n’étais qu’un crétin incapable de faire les choses correctement, je comprenais qu’elle n’ait pas voulu attendre plus longtemps. Je n’étais qu’une perte de temps, une déception... Et pourtant, je la vis sortir de ce que j’identifiais comme un placard, des archives ? Les mains encombrées de dossiers qu’elle déposait sur son bureau sans même m’avoir vu. Était-ce l’alcool ou les émotions qui me poussaient subitement à la prendre dans mes bras ?  

Heureusement pour moi, je peux encore compter sur le travail pour distraire mon esprit torturé. C'est tout de même un sacré avantage, plus particulièrement une fois le soir venu. L'ambiance de l’infirmerie change drastiquement lorsque celle-ci se retrouve entièrement vide. L'endroit devient froid, inquiétant. Une chose que l’on ne ressent jamais dans un hôpital qui, finalement, n’est jamais totalement désert. Mal à l'aise, j’ai enfilé mes écouteurs et lancé ma playlist. J'ai besoin de me concentrer sur ma tâche, d’oublier toutes mes préoccupations au même titre que la déception ressentie lorsque l’horloge avait annoncé 18h45… Il n’est pas venu. Il ne viendra plus …
Au fond, je me dis que c’est peut-être une bonne chose, autant pour lui que pour moi. Malgré mes espoirs d'autrefois, j’ai toujours su que cette histoire était vouée à l’échec et qu’elle ne survivrait probablement pas à sa sortie de l’hôpital. Aussi inoubliable fusse-t-elle, ce ne pouvait être qu’une idylle éphémère après tout.
Il est donc temps de passer à autre chose et de clore ce chapitre de ma petite vie solitaire.
Je me réfugie dans le boulot… J’ai tellement de choses à faire, autant prendre un peu d’avance sur la journée de demain. Je dois encore comparer les résultats des examens que les élèves ont passés avant d’arriver ici à ceux obtenus aujourd'hui… Si seulement mes confrères avaient eu l’idée de noter tout cela dans les dossiers informatiques plutôt que sur papier, j'aurais ainsi pu gagner un temps précieux… À présent, je me retrouve avec une pile de dossiers avec des centaines de données à rapporter dans notre logiciel. Un travail ennuyeux et harassant d’ordinaire destiné aux secrétaires… Sauf que nous n’en avons pas. Perdue dans mes pensées, je dépose le tout sur mon bureau, prête à me mettre à la tâche… Mais c’est sans compter sur la surprise qui vient si brusquement m’étreindre que je ne peux retenir un hurlement effaré.
« Hyu…Hyun ? » bredouillé-je quelque peu perturbée par cet élan de tendresse. Je ne m'étais certainement pas attendue à cela, pas après la dispute que nous avons essuyée quelques heures plus tôt. Et puis … Un parfum âcre et familier vient me chatouiller les narines… Il a bu.  « Lâche-moi s’il te plaît, » lui dis-je tout en posant ma main sur les bras qui me maintiennent toujours captive.
Je remarque que malgré l’alcool, il est tout à fait capable de maîtriser sa force, sans quoi il m’aurait brisé les côtes. J’attends qu’il me relâche afin de pouvoir m'éloigner, ne serait-ce que de quelques pas.  
« Je ne t’attendais plus, » avoué-je tout en lui indiquant la pendule suspendue au-dessus de la porte de mon bureau. Cette dernière indique 19h30 à présent… Un retard qui aurait pourtant pu clarifier bien des choses.
« Pourquoi es-tu venu finalement ? Tu as dû longuement hésiter… » je demande tout en retirant les écouteurs qui hurlent toujours dans mes oreilles.
Je prends sur moi pour préserver mon calme. J’essaie d'ignorer mon cœur et cet emballement douloureux qu’il appose contre ma cage thoracique. J’essaie d’oublier la chaleur que je ressens toujours dans mon dos… Cette même chaleur qui, autrefois, est parvenue à balayer le froid glacial qui enlaçait mon âme et dont je souffre toujours aujourd'hui.

Sans prévenir, je m’étais glissé dans son dos pour enrouler mes bras autour de ses épaules. Je retrouvais cette douce chaleur d’autrefois ainsi que les fragrances de son parfum dont je me souvenais parfaitement des notes fleuries. Un geste qui lui arracha un cri, mais que je ne cherchais pas non plus à réprimer. J’ignorais volontairement sa requête, et j’en resserrais même davantage mon étreinte. Elle voulait me chasser ? Après tout ce temps ? Alors elle devrait m’y forcer... Et si je savais parfaitement que j’avais l’avantage de la force, je desserrais finalement ma prise. Une seconde de faiblesse qui lui permis de me repousser et de se tourner pour admirer le déchet que je n’avais plus été depuis longtemps. Si d’un geste elle m’apportait une preuve de plus de ma débilité latente, je me contentais de la regarder. J’eus la soudaine et fugace sensation familière de cette première fois, ce moment où je m’étais finalement dressé face à elle, debout, sans fauteuil roulant. J’aurais sans doute dû me confondre en excuses, mais sous son regard déterminé et accusateur, j’étais incapable du moindre son. Terrassé par une petite brune...  

Ses lèvres s’agitaient devant mes yeux vitreux... et je m’en voulais aussitôt d’avoir abusé de la bouteille. J’entendais et je voyais ses sourcils se froncer tandis qu’elle m’invectivait sur mon retard. Mais que pouvais-je bien y répondre... « J’ai bu. » lâchais-je bêtement. J’avais bu, pour me donner suffisamment confiance et faire taire la peur. Elle était partie, elle pouvait très bien en faire de même, surtout après nos retrouvailles. « Tu es partie... » ajoutais-je mollement. Mon cœur souffrait encore de cet abandon, bien plus que je ne voulais bien l’admettre. Je ne sais pas si j’attendais une explication ou des excuses... peut-être était-ce à moi d’en fournir ? Entre deux cris, elle avait mentionné mon mariage, était-ce la seule raison de son départ ? Aussi, je levais mon annulaire, vierge de l’anneau qu’il n’avait jamais porté. « Ce n’est pas une raison pour partir... plus maintenant. » soufflais-je le cœur meurtri. Je refusais qu’elle ne se serve de ma fausse promesse, en revanche, je redoutais qu’elle ne fuie la colère et la force que je ne parvenais que rarement à maîtriser.  

Malgré tous les sentiments contradictoires que je nourris à son encontre, je n’ai jamais voulu le faire souffrir. Le voir dans un tel état me brise si bien le cœur qu’il m'est difficile d’affronter son regard brillant. Est-ce l'alcool qui parle, ou bien sa détresse…Comment le savoir ? Alors face à l'évidence, je ne peux que soupirer.
« Je sais… » soufflé-je d’une voix éteinte. Je m’adosse au bureau, y posant mes mains à plat pour ne pas avoir à croiser les bras. Je ne suis pas fermée à la discussion même si cette dernière devrait attendre qu’il reprenne possession de ses esprits. Je sais pertinemment qu’il ne faut pas tenir compte des paroles prononcées sous l’effet de l’alcool, et ce… même si certains le considèrent comme une sorte de sérum de vérité. Alors quand il me place devant une autre évidence impossible à nier, je me contente de confirmer :
« Je suis partie… »
Pourquoi chercher à contester ? C'est bien ce que j’ai fait. Je lui ai tourné le dos pour prendre la fuite avec l'espoir de ne plus jamais le revoir. Sans doute aurais-je dû réfléchir davantage avant d'accepter le poste offert par Fantastic Row. À l’évidence, ce n'était pas le bon choix puisqu’il se trouve devant moi. Quand il exhibe son annulaire vierge de tout anneau, je ne peux que détourner le regard. Je n'ai pas souvenir de l'avoir déjà vu porter son alliance. Nul doute que je l'aurais forcément remarqué à cette époque et surtout, que j'en aurais tenu compte. Qu’importe les rapports entretenus avec cette épouse absente, ce mariage n’en reste pas moins réel. Un mariage qu’il a gardé secret pour je ne sais quelle raison… Des raisons qui m’ont poussé à croire qu’il s’était moqué de moi. Que rien de ce que nous avons vécu ensemble n'était vrai. Ces pensées, je les ai nourris durant des mois au point de me rendre amère. La rancune existe toujours… Ce n’est pas quelque chose que l’on peut balayer d’un simple revers. Alors même si mon cœur s’emporte toujours à son approche, je n’ai plus la moindre confiance en lui.
« Assis-toi… » dis-je en lui indiquant la chaise faisant face au bureau avant de m’éloigner pour fouiller dans le réfrigérateur à la recherche d’une boisson bien spécifique. J’en tire l’une de ces cannettes riches en électrolytes, celles que l’on donne en cas de déshydratation ou de gueule de bois.
« Bois ça, » ordonné-je en posant la canette devant lui avant de retourner m’asseoir devant mon bureau. « On va attendre que tu te reprennes… Tu peux aller t’allonger derrière si tu le souhaites … Mais je refuse de discuter dans de telles conditions. »
J’attrape le premier dossier et j’entreprend de travailler. Je ne le chasse pas. Je ne prends pas non plus la fuite… Je nous accorde simplement une pause bien méritée et ce, qu’importe le temps que durera cette dernière.

Pas la moindre contestation. Elle répétait les mêmes mots, elle avouait sans détour et je ne constatais pas le moindre remord dans son regard. Je lui en voulais, mais avant tout, j’étais meurtri, blessé, et si je levais ma main en ajoutant l’évidence, je sentais mon cœur se pincer davantage. Ses yeux fuyaient alors ce que je voulais pourtant lui montrer, et ce fut une nouvelle colère qui enfle alors au creux de ventre. Comment pouvait-elle seulement refuser de voir ? Je n’avais pas les mots, j’ignorais comment exprimer mes émotions si elles ne relevaient pas de la rancœur, de la colère ou du dégoût. Et pourtant... j’avais vécu avec Jiyeon des moments qui m’avaient fait oublier tout le mal, toute la douleur... pour finir piétiner à nouveau. Alors pourquoi lui obéissais-je lorsqu’elle me désignait la chaise face à son bureau ? Idiot et docile, j’étais bien ridicule. Eprouvé par l’alcool, mes gestes étaient lents et lourds, si je comprenais la situation, ses propos, je me sentais prisonnier de mon corps imbibé. Et comme si cela ne suffisait pas, j’attrapais la canette qu’elle me tendait.  

A quoi bon ? Voulais-je vraiment être pleinement conscient de la scène qui se jouait devant mon regard voilé ? Le peu d’assurance que j’avais pu glaner de ma bouteille s’envolerait aussitôt ? Et face à elle, que me restait-il sinon le cœur brisé qu’elle seule pouvait réparer ? Par automatisme, ou par idiotie profonde, je portais la canette à mes lèvres. J’en avalais quelques gorgées, les yeux dardés sur la brune aspirée par ses dossiers. Je voulais savoir et en même temps je redoutais que notre histoire ne prenne fin... définitivement. Pourtant échaudé par une première relation qui m’avait détruit, il semblait que je sois suffisamment stupide pour espérer... Aussi je me contentais de siroter la boisson en la fixant. Je redécouvrais les traits fins de son visage, ses lèvres pleines... mentalement, j’en redessinais chaque contour et je tentais de me souvenir quel goût avaient ses pulpeuses sur lesquelles je m’étais pourtant jeté plus tôt.  

J’aurais sans doute pu passer la nuit ainsi, mais elle ne semblait pas de cet avis puisqu’elle relevait vers moi ses perles courroucées. Sans plus de mots, je continuais de l’observer et lui arrachais malgré moi un soupir exaspéré. « Pourquoi ? » lâchais-je finalement. Je n’oubliais pas qu’elle avait mentionné mon mariage, mais je voulais comprendre comment elle avait pu réagir de manière si radicale plutôt que de chercher des explications. « Tu veux discuter, en quoi es-tu plus disposé à parler maintenant ? » En dépit de ma voix qui n’était qu’un souffle, je l’attaquais de manière frontale. Il était inutile de tourner autour du pot, je voulais seulement savoir comment il avait été si facile de partir.  

Sans doute aurais-je dû insister pour qu’il aille s’allonger plutôt que de l’inviter à s’asseoir face à moi. Ses regards insistant m'empêchent de me concentrer sur ma tâche. Il m’empêchent de préserver le peu d’assurance qu’il me reste encore et Dieu sait que j’en ai cruellement besoin. J'ai beau pester, cela ne le dissuade en rien, bien au contraire. Et ce « Pourquoi ? » lâché si subitement finit par me faire renoncer à toute tentative d’occupation annexe. Déstabilisée par la question qui suit, je me relève pour retourner fouiller dans mon réfrigérateur à la recherche d’une canette de café glacé. Je n'ai pas particulièrement soif, mais il me faut du temps pour digérer ses interrogations et surtout… de trouver la bonne façon d’y répondre. Mon sésame en main, je retourne m’asseoir à mon fauteuil.
« Très bien, » lancé-je tout en ouvrant la canette. « J'espère que l’alcool ne provoque pas d'amnésie chez toi car je ne te le répèterai pas. »
Je bois une bonne gorgée de café avant de m’appuyer à mon dossier. « Ce jour-là, je me souviens très clairement de m’être réveillée de bonne humeur. Ta sortie approchait et j’étais heureuse de me dire que nous pourrions enfin débuter une vraie relation sans avoir à nous cacher. Je me souviens qu’en prenant mon petit déjeuner, je me suis demandé s’il était encore trop tôt pour te proposer de venir vivre avec moi. Au moins le temps que tu trouves un autre logement pour démarrer ta nouvelle vie. » Je ne dis pas cela simplement pour planter le décor, mais plutôt pour lui faire comprendre que, pour ma part, j’étais on ne peut plus sérieuse à propos de ce “nous” qui existait encore. « En enfilant ma blouse et le superbe pyjama rouge du centre, j’ai réalisé que tu ne m’avais jamais vu en tenue de ville. Normal, puisque nous restions toujours dans l’enceinte de l'hôpital…Mais je me disais encore que nous aurions tout le temps de nous découvrir davantage, une fois que tu serais sorti de là. Oui, j’étais très naïve encore, que veux-tu… J'ai rangé mes affaires, puis je me suis dirigée vers la salle de garde pour faire ma relève et surtout boire un deuxième café. » L’histoire est longue et surtout très douloureuse pour moi. Je bois une autre gorgée avant de me redresser légèrement pour venir entourer la boîte de mes deux mains. « J’ai salué mes collègues en pleine discussion puis je me suis dirigée vers la sacro-sainte cafetière. Au début, je n'ai pas prêtée attention à leur conversation puis j’ai entendu ton nom… Alors, forcément je me suis intéressée à la suite… »

La suite… Je peux très clairement lui jouer la scène, je l’ai jamais oublié. Je ne me fais d’ailleurs pas prier pour la lui décrire en détail.

« Dites, vous le saviez vous, pour le patient de la 302 ? »
« Lee Jang Hyun ?  Savoir quoi ?»
« Et bien… Il est marié ! J’ai vu ça sur son dossier en préparant les documents de sa sortie. J’étais tellement choquée !»
« Quoi ??? Non, j’en savais rien du tout ! Dis Jiyeon, tu savais que Grincheux était marié, toi ? »
« C'est vrai, tu devrais le savoir vous semblez si proches tous les deux.»
« Tu es bien la seule qu'il supporte !»
Puis elles se sont esclaffées.

« Voilà comment j’ai appris la nouvelle… Et tu sais quoi ? Je me souviens très clairement de chacune de mes sensations à ce moment-là. Le cœur qui s’emballe puis se serre. La respiration qui se fait plus pénible. La nausée qui vient enserrer l’estomac. La vue qui se trouble, les oreilles qui sifflent… Avoir le cœur brisé ressemble beaucoup à une crise d’angoisse figure-toi. Puis quelle idiote j'ai été de ne pas te demander si tu étais réellement célibataire avant de me lancer dans cette histoire...
Je poursuis mon récit en lui décrivant combien il est difficile de dissimuler ses émotions devant ses collègues. J'en ai bien évidemment abandonné mon café. Il fallait que je sorte, que je prenne l’air… C'est ce que j'ai fait, puis je me suis reprise comme j’ai pu et j’ai entrepris mes visites.
« Quand je suis arrivée dans ta chambre, tu m’as sourit. C’était le même sourire que d’habitude. Pour toi, rien n'avait changé du tout, évidemment… Malgré tout, ce sourire là, je l’ai reçu de la même manière qu’un coup de poignard dans le dos. Je me sentais tellement stupide...Je ne pouvais pas te parler, j'en étais incapable en fait. Le simple fait de te regarder me donnait envie de pleurer. Et, évidemment, je ne pouvais certainement pas me permettre cela, pas au boulot.»
Je me suis maudite ce jour-là… Comment ai-je pu être assez stupide pour tomber amoureuse d’un patient ? À ce moment précis, j’ai regretté chacun de mes choix, tous ceux que j’ai pu faire depuis notre première rencontre.
« Je me suis dis que tu n’avais pas de cœur. Que tu te fichais de moi, de mes sentiments…Que si tu ne m’avais rien dit à propos de tout ça, c'était parce que tu avais prévu de la retrouver à ta sortie. J'ai imaginé des tas de choses… Comme une raison qui justifierait son absence. Une militaire en mission, une business woman retenue à l’étranger peut-être. Je me disais que, finalement, j’avais tout imaginé. Que cette histoire n’était qu’une passade, une distraction que tu t’octroyais durant ton hospitalisation… Que tu t’étais bien moqué de moi. »
De la colère d’alors ne reste plus que l’amertume. Cette histoire, je la raconte le sourire aux lèvres, un sourire terni par les souvenirs douloureux. Je prends sur moi pour chasser mes émotions et – bon sang – elles sont nombreuses à se bousculer à présent.
« J’étais bien incapable de te demander quoi que ce soit. Je craignais trop que tes réponses soient pires que tout ce que je pouvais imaginer. Mais rester là, à tes côtés… C’était juste au-dessus de mes forces. Alors oui, je suis partie. Mais cela n’avait rien de facile parce que je t’ai sincèrement aimé, que je pensais avoir un avenir avec toi et que toutes ces idioties me revenaient en pleine poire. J’étais triste et en colère. Je t’ai détesté après ça parce que je culpabilisais pour elle… Je t’en ai énormément voulu Hyun et je t’en veux encore… »
Je doute fort que cette rancœur vienne un jour à disparaître d’ailleurs …
« Quant à savoir si je suis plus disposée à discuter maintenant… Honnêtement, je ne sais pas. Après ce matin, je me suis simplement dis que tu méritais quelques explications… Que nous les méritions tous les deux… Alors, à mon tour maintenant : Pourquoi es-tu venu ? Pourquoi t'être enivré ? Pourquoi es-tu toujours marié ? Et puisqu'on y est : Pourquoi m'avoir embrassé ce matin ? »

Les yeux rivés sur elle alors qu’elle tentait de traiter ses dossiers, je ne la quittais pas du regard tandis qu’elle se levait pour aller se chercher une boisson. Et je continuais ainsi de la mirer lorsqu’elle reprenait sa place. Si les questions m’avaient échappées, j’étais néanmoins particulièrement curieux de savoir. Avide de comprendre pourquoi ou comment, et ce même si cela devait me briser le cœur à nouveau. Par réflexe, je m’installais plus confortablement alors qu’elle commençait son récit, et le premier coup fut asséné en à peine quelques secondes. Vivre avec moi... C’était un rêve que j’avais nourri à son contact, m’imaginer quitter les pièces stériles de l’hôpital pour m’installer avec elle. J’en avais rêvé pendant mon hospitalisation, et elle m’annonçait l’avoir envisagé à son tour... Si je réfrénais la grimace douloureuse, je n’en ressentais pas moins la première plaie qu’elle m’infligeait. Silencieux, je la laissais poursuivre en espérant que l’affliction de ses révélations ne m’anéantissent pas davantage. Le naïve me fit froncer les sourcils... je ne l’avais jamais considéré comme telle.  

Concentré sur elle, ses lèvres, son regard, ses gestes, je pouvais sentir la tension qu’elle exhalait malgré elle, mais je n’y fis rien. Préférant me contenter de l’écouter plutôt que de l’acculer, si je mourrais d’envie de répondre, je me forçais au silence. Mais rien ne me préparait à la suite de son discours. Sans le vouloir, mon poing se referma sur le métal qui se plia sous ma poigne comme un simple morceau de papier. La canette ainsi froissée se dessouda par endroit et laissa échapper quelques gouttes, mais je ne m’en préoccupais pas. Je ne retenais que le jugement et l’intrusion de ces femmes qui étaient pourtant simplement sensée s’occuper de leurs patients. Je n’étais donc qu’un sujet de rumeur de plus. Je connaissais parfaitement l’effet et les sensations d’avoir le cœur brisé, mais je me gardais bien de le lui avouer... pas à cet instant. Et comme si je revivais ce moment, je nous revoyais quelques mois en arrière, alors qu’elle poussait la porte de ma chambre pour que je l’accueille avec un sourire franc, sincère et chaleureux. Un sourire non feint.  

Je sentais mon cœur se fendre à chaque mot qu’elle prononçait désormais, et plus encore à ses hypothèses farfelues. Mais celle que je ne pu accepter... « Une distraction ? J’ai donc si peu d’estime à tes yeux ? » Je l’avais écouté, j’avais patiemment attendu qu’elle ne finisse son récit. Je l’avais laissé m’affliger d’une image qui ne me correspondait pas, pire, elle était loin, tellement loin de celui que je pourrais réellement être et en même temps... je lui avais offert mon coeur, mon corps et mon âme dans cette petite chambre d’hôpital. Elle avait vu mes faiblesses et m’avait aidé à panser mes blessures, tant physiques que psychiques. Alors comment pouvait-elle seulement imaginer... Incapable de rester sur ma chaise, je me levais et provoquais le vertige. J’en avais oublié l’alcool ingurgité plus tôt, et j’étais déçu de ne pas être suffisamment ivre. « Je suis venu parce que tu me l’as demandé... ou bien était-ce mon imagination ? » sifflais-je. Calmes-toi Hyun... par pitié ne te laisses pas emporter... me hurlait ma conscience. « Je n’en sais rien... » Pour toutes ses questions, il n’y avait qu’une seule réponse : l’incertitude. Pourquoi boire ? Parce que c’était facile, une habitude que j’avais repris dès ma sortie. Si je n’avais pas eu le choix de la sobriété dans ma chemise d’hôpital, j’étais libre de boire à en oublier mon prénom une fois dehors. Mais comment l’admettre ? C’était sans doute l’un de mes pires défauts, c’était également grâce à lui que je crachais mon venin sans me soucier des dégâts qu’il provoquait. Je faisais les cents pas dans la pièce, de nervosité et de douleur, j’avais accepté son point de vue, je pouvais presque le comprendre, mais ce qui me tuait lentement, était cette capacité à omettre le mien. Je m’arrêtais finalement face à elle et plongeais mes onyx dans les siens. « Je t’ai écouté... est-ce que tu seras capable d’en faire autant ? » Je tremblais, de rage, d’affliction, de doute... Si elle voulait jouer carte sur table, je le pouvais à mon tour.  

À son regard, je comprenais qu’elle me laissait tout le loisir de m’expliquer... sur l’inexplicable. « Tu aurais dû venir m’en parler... » lâchais-je d’un souffle. « C’est loin d’être un mariage d’amour. Je ne te demanderais pas d’être d’accord avec mes choix et mes décisions, je ne suis pas fier de la majorité d’entre elles... mais plutôt que de fuir sur des rumeurs de couloirs, tu aurais dû m’en parler. » J’allais entamer la partie la plus difficile, celle pour laquelle j’éprouvais une honte incommensurable... « J’ai aimé... avant toi. Il y a longtemps, tellement longtemps que je me demandais s’il était possible d’éprouver ces sentiments à nouveau. Puis j’ai été brisé, d’abord par mon accident, puis par celle qui disait m’aimer... C’est fou d’ailleurs à quel point c’est cliché... » pouffais-je d’un humour forcé. « Je t’épargnerais les détails, mais nos sentiments se sont éteints à cet instant. Nous nous sommes pourtant mariés par la suite, une promesse empoisonnée qui n’a plus aucune raison d’être aujourd’hui. J’ignore où elle se trouve, peut-être même qu’elle est décédée... Je ne suis pas fier de cette union parce qu’il n’en est rien sorti de bon si ce n’est de la haine. Je ne cherche pas non plus à me trouver d’excuses, c’était un mauvais choix, fauteuil roulant ou non. Mais elle m’a poignardé dans le dos de la pire des façons, et ça a été ma seule façon de réagir... » C’était la première fois que je racontais cette histoire, et j’éprouvais une sensation de liberté puissante à échapper ainsi ce passé douloureux. « Tu n’as jamais été ni une passade, ni une distraction... je le pensais quand je t’ai dit que je t’aimais... »

« Une distraction ? J’ai donc si peu d’estime à tes yeux ? »

Sa réaction, je ne peux que la comprendre. Personne n'aime entendre ce genre de choses à son propos. Je sais que je l’ai blessé, que toutes ces révélations honteuses ne peuvent qu’éveiller cette colère latente qu’il peine à contenir. Pour autant… Il ne s’agit-là que l’expression des ressentis d'une femme qui n’a aucune estime envers elle-même. Durant tous ces mois passés à ses côtés, je n'ai jamais cessé de penser que tout ceci était trop beau pour être vrai. Je n’ai jamais su accepter son amour, pas comme je l'aurais dû en tout cas. Finalement, cette découverte servait mes intérêts auto-destructeurs. Elle me donnait raison… Comment pouvait-il seulement m’aimer après tout ? Je suis celle que l’on quitte, que l’on abandonne, pas celle que l'on chérit. Avais-je tellement peur que la décision de se séparer vienne de lui que je me serais jetée sur la première raison venue pour le faire avant lui ?
Peut-être, je ne sais plus.
Visiblement, nous partageons cette même incertitude permanente.
« Ce n’était pas une convocation formelle, Hyun. Tu avais totalement le droit de décliner, » soupiré-je tout en me levant à mon tour. Je contourne mon bureau pour venir m’y appuyer. Je l’observe parcourir la pièce comme l'aurait fait un pauvre lion prisonnier d’une cage bien trop exiguë pour lui.
Je le laisse parler, évidemment… C'est bien pour obtenir des réponses que je lui ai demandé de venir ici ce soir. J’attends de lui qu’il se montre aussi honnête que je l’ai été, même si ce que je dois entendre achève de réduire en miettes ce qu’il me reste de cœur. Alors, c'est avec grande attention que j’écoute son récit.
Je sais qu'il a raison… J’aurais évidemment dû lui parler de tout ceci plutôt que de faire mes propres conclusions. Seulement, à ce moment-là, j’en étais parfaitement incapable. La nouvelle avait été trop violente, brutale pour que je ne parvienne pas à contrôler mes propres émotions… Je ne le contredirai certainement pas, même si je regrette qu’il n’ait pas eu l’idée de me parler de tout ce qui suit plutôt que de me laisser apprendre son mariage de cette manière. Dans cette histoire, nous sommes tous deux coupables du même crime.
« Toi aussi… Tu aurais dû me parler de tout cela avant », soufflé-je en détournant le regard. « Tout ceci, j’aurais pu le comprendre si tu t'étais donné la peine de me l'expliquer, Hyun…»
Je peux comprendre bien des choses, même s’il m'est difficile de l’accepter. « Même si tu le pensais, je n’étais malheureusement pas capable de l'accepter ou seulement de te croire. J’avais besoin que tu me rassures, que tu me confortes dans l'idée que ce que nous vivions était réel… Que c’était possible. Que cela pouvait perdurer en dehors des murs de l’hôpital. J’aurais aimé que tu te montres plus honnête, que tu ne me laisses pas la possibilité d'imaginer tout et n’importe quoi à propos de ce mariage. »
Je lutte contre les larmes qui menacent de s’échapper… Je refuse de pleurer, pas pour ça. Cette décision de m’éloigner, je l’ai peut-être prise dans la douleur et l’incertitude, néanmoins, je n'ai pas d’autre choix que de l’assumer. Ce qui est fait, est fait, nous ne pouvons plus revenir en arrière.
« Je suis désolée d'être partie sans un mot. Je le suis sincèrement… »
Mais peut-être était-ce inévitable. La relation que nous vivions avait évolué en huis clos, dans un cocon aseptisé loin de tout ce qui constituait la vie réelle. Nous ne savions rien de l’autre hormis ce que nous étions dans cet environnement dans lequel nous jouions nos propres rôles. J’étais le médecin têtu que l’on lui avait attribué après qu'il ait terrorisé toutes les infirmières. J’étais celle qui répondait à chacun de ses pics, celle qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Je me suis imposée à lui sans lui laisser le choix. Je l'ai poussé à ouvrir ses rideaux pour faire entrer la lumière dans cette chambre lugubre avant de le forcer à en sortir. C’était mon boulot et je pensais bien naïvement que cela s’arrêterait là. Jamais je n’aurais pu imaginer tomber amoureuse de ce patient bourru que tout le monde surnommait Grincheux. Et pourtant, c'est arrivé. Il a fini par devenir cette personne à laquelle je pensais sans cesse, du réveil au coucher. Cette personne que je m'empressais de retrouver chaque matin et que je peinais à quitter une fois le soir venu.
Pourtant… Nous n'avons jamais eu de premier rendez-vous. Nous n’avons jamais partagé le moindre repas en dehors de sa chambre … Nous n’avons même jamais eu le loisir de passer toute une nuit ensemble. Finalement, on peut même dire que cette relation s’est achevée avant d’avoir eu le temps de réellement commencer. Je vivais avec l’impression d’être dans une bulle qui menaçait d’éclater à tout moment. Cette découverte n’a fait que confirmer mes doutes, mes craintes.
Elle a fait éclater cette fichue bulle.
« Tout ceci ne change rien finalement, mais au moins nous aurons eu la possibilité d’avoir cette discussion… Même si c'est trop tard. »
Je lutte encore et toujours contre mes larmes. Adossée à mon bureau, les mains posées à plat, je détourne le regard tout en me pinçant les lèvres pour contenir les regrets que je n'ai pas le droit d’exprimer… Pas devant lui en tout cas.
C'est terminé. Nous ne pouvons plus revenir en arrière.
« Tu devrais y aller maintenant … » finis-je par lui demander sur un ton presque suppliant.

Mon cœur battait à tout rompre une fois mon récit achevé. Il était pourtant bien incomplet, mais j’espérais aborder cette partie de l’histoire bien plus tard, car si elle avait pu fuir sur ces simples bruits de couloir, elle pouvait disparaître définitivement en apprenant à quel point j’avais été ignoble. Ma main droite en tremblait davantage, comme si le souvenir de ce geste de trop avait été marqué au fer rouge directement sur mes muscles. Nous avions nos torts, et si je savais que les miens étaient bien plus lourds, je lui balançais mes reproches. Ceux auxquels elle ne tarda pas à répondre. « Je sais... » soufflais-je. J’aurais dû lui en parler... mais comment lui avouer une réalité à laquelle je tentais d’échapper ? À la fois coupable et en colère, je m’étonnais de rester si calme tandis qu’elle me mettait sous les yeux l’évidence. Et pourtant... je fus surpris de l’entendre réclamer l’attention que j’étais pourtant persuadé de lui avoir dispensé. Ses propos, les trémolos qu’elle tentait de masquer dans sa voix, ses lèvres qu’elle pinçait à chaque mot, comme si les délivrés était une torture. Tout dans son attitude criait la douleur et le chagrin... ceux que je lui avais infligé. Ses excuses achevèrent de me déchirer le cœur et je me figeais face à elle.  

Perdue dans ses pensées, elle fuyait mon regard. Son corps tout entier trahissait la tension de ces souvenirs douloureux... ou nostalgiques ? Je ne parvenais pas à saisir la nuance qu’elle soufflait du bout de ses lèvres pincées. J’avais beau l’observer, je ne comprenais plus... notre conversation n’avait-elle pas eu pour but de lever le voile des mensonges et des zones d’ombres ? Elle m’avait demandé de la rejoindre, non ? Alors pourquoi, après avoir entamé ces révélations, après lui avoir ouvert mon cœur et mon passé, semblait-elle sur le point de disparaître à nouveau ? Et si elle réfléchissait déjà à la meilleure manière de fuir, pourquoi ses yeux étaient ainsi inondés ? Rien n’avait de sens et je sentais mon muscle battant se tordre face à la vision qu’elle m’imposait. Trop tard... La sentence tombait finalement, et elle me transperça le cœur de sa lame affutée. Incapable d’émettre le moindre son, j’ignorais quoi faire... partir ? Rester ? Pour quoi ?  

« Je ne te crois pas... » murmurais-je d’une voix inaudible. Comment pouvait-elle ainsi me repousser alors que son attitude me hurlait de la prendre dans mes bras ? Un pas après l’autre, je m’approchais d’elle et glissais un index sous son menton. Je l’obligeais à me regarder dans les yeux, car si elle voulait vraiment me briser, je ne l’accepterais pas autrement que ses perles plongées dans les miennes. « Je ne te crois pas... » réitérais-je. « Si tu veux vraiment que je parte, si tu veux vraiment en finir... définitivement... si tu ne m’aimes plus... dis le moi... les yeux dans les yeux. Alors je partirais... » Le monde entier était devenu silencieux, comme s’il attendait sa réponse avec moi. Comme si le temps était désormais suspendu à ses lèvres scellées. Les secondes s’égrenaient, les minutes s’écoulaient et aucun mot ne filtrait ses pulpeuses. Si le soulagement se distillait avec paresse dans mes veines, je n’en restais pas moins meurtri.  

Après un temps qui me semblait interminable, j’osais finalement et m’approchais de ses carmines malmenées. J’y déposais un premier baiser d’une douceur contrôlée en m’attendant à être repoussé... mais rien. Pas davantage de reproches, pas d’insultes, pas de coups... Je réitérais alors mon geste et emprisonnais son inférieure avec envie. Je mordais avec indolence sur l’ourlet de chair qui n’avait fait que cracher son venin pour l’attaquer, encore et encore. J’avais la sensation de revenir en arrière, de retrouver ces moments volés au cœur de ma chambre d’hôpital. J’enroulais un bras autour de sa taille tandis que je glissais une paume sous sa mâchoire. Je ne pus m’empêcher de sourire contre ses lèvres à mesure que je les dévorais, car si elle répondait à ce baiser, notre histoire n’était pas encore achevée. Et pour me prouver que j’avais raison, je guidais ses mains pour qu’elle ne s’accroche à ma nuque.

Malgré toutes les idées qui se bousculent dans ma tête, je ne trouve rien à lui répondre. Ce devrait être si simple pourtant … Ne suis-je pas déjà partie une fois ? N'ai-je pas tiré un trait indélébile sur cette relation incertaine ?
Alors…Pourquoi est-ce donc si difficile de lui dire que je ne souhaite pas poursuivre sur cette voie ?
Lui dire que je veux en finir pour de bon …
Lui dire que je ne l’aime plus…
Lui dire que je veux qu’il parte…
Aucun mot ne franchit les pauvres lippes que je continue de malmener malgré moi. Mes yeux se perdent une fois de plus dans ses perles d’obsidiennes, dans ce regard si intense qu'il achève de me troubler pour de bon. Me voilà bien incapable de prononcer quoique ce soit et ce, malgré toutes les supplications silencieuses que mes yeux embrumés s’échinent à exprimer.
Qu’attend-t-il de moi exactement ? Je ne comprends plus… Où est donc passée cette colère sourde qui l’animait jusque-là ? Pourquoi me paraît-il si triste à présent ? Ne devrait-il pas me détester pour cette disparition brutale ? M’aime-t-il encore, malgré tout ça ?
Toutes ces questions, c'est du bout des lèvres que Hyun vient subitement les balayer. Il les chasse, l’une après l’autre, avec cette même tendresse que je lui connaissais autrefois. Il me transporte avec lui, à une époque où tout me semblait tellement plus simple. Une époque encore emplie de promesses restées muettes. Des promesses que j’ai probablement imaginé, comme l’idiote que je suis.
Sans même savoir où débute le mensonge et où s’achève la vérité, je le laisse m'entraîner avec lui dans ce ballet maîtrisé par des lèvres qui se souviennent et se reconnaissent avec avidité.  Les émotions me submergent en anéantissant chacun de mes doutes… J’ai tellement envie de le croire et d’accepter tout ce qu'il pourrait m'offrir. J’aimerais tellement être capable de vivre cette histoire jusqu’au bout. De la vivre sainement, sans éprouver la moindre crainte, le moindre remords…
Est-ce une erreur ? Sans doute… Après tout, je ne suis absolument pas douée pour jouer à ce genre de jeu. Sa chaleur me rassure et m'apaise. Je me souviens de tout. De son sourire, de la lueur qui illumine son regard lorsqu'il rit aux éclats. Ce même rire qui résonne encore dans mes oreilles, comme un souvenir précieux que j’aimerais tant voir renaître.
Est-ce seulement possible aujourd'hui encore ?
C'est quand ses mains guident les miennes pour me pousser à l'enlacer que je finis par me reprendre.

« Arrête-toi, s'il te plaît, » murmuré-je tout en posant mon front sur son torse. « Tu as bu, ce n’est pas le bon moment pour ça… »

“Ça”... Même moi je ne sais pas ce que ce “ça” signifie réellement. Je suis totalement perdue, en proie à tous ces doutes qui me rongent constamment. Je ne sais pas à quoi il pense ou même si je peux réellement lui faire confiance… J’ai besoin de temps…

« Qu’en est-il de tes sentiments aujourd'hui ? Impossible pour moi de le savoir dans ton état… »