Jusqu'au bout de la nuit ((ft. Eero))

Saeri prenait son travail très au sérieux. Faute de seulement être une professeur intransigeante et attentive, elle avait trouvé le moyen de justifier d'étendre ses heures de travail selon des critères absurdes pour des raisons qui lui semblaient justes et importantes. Et parmi les choses importantes, il semblait à l'ancienne soldat que pousser les étudiant-e-s à la sociabilisation était un point important.
Ayant souffert d'avoir été une gamine rebelle et sauvage une fois mêlée à une nuée d'inconnu-e-s dans des missions demandant parfois de travailler en équipe, il lui était apparu comme une évidence qu'elle voulait empêcher les jeunes de tomber dans les mêmes travers. S'il fallait des personnes pour protéger les autres, elles devaient faire avec le groupe, pouvoir s'intégrer, faire preuve de compassion et être capables de sociabiliser avec adresse. Le lien social était tissu de l'armure idéale du modèle d'un héros, et elle ne lâchait les oreilles d'aucune tortue qui tendait à trop rester dans sa confortable carapace... Et il était possible que l'excès de zèle l'ait poussée à tourmenter d'autres jeunes.
Non non, si Saeri avait pris Eero sous son aile, cela n'avait strictement rien à voir avec Yeong Min... Certes, il y avait un conflit entre elleux et elle aimait en effet lui piquer ses étudiant-e-s... Mais qui n'adopterait pas un Kwon Eero ? Avec sa bouille grincheuse, il était presque craquant ! ...Le soucie était probablement plus que ce pauvre garçon avait autant d'adresse sociale et sentimentale qu'un shiba inu au milieu d'une armée de golden retrievers. Il lui faisait penser à un mix maudit entre Yeong Min et elle-même, et bien sûr que ça la démangeait. Elle n'aurait pas été maîtresse du temps, elle  aurait été inquiète à l'idée que le professeur Roo les ait mis dans un mixeur plusieurs années plus tôt pour créer Eero... Quelle terrifiante idée !

Affublée d'une tenue festive mais chic, la mentor des Geobuk s'était rendue une fois la nuit tombée non loin de l'entrée d'une des boîtes de la nuit de la ville. Consultant sa montre à gousset dans son sac à main, elle regarda ensuite tout autour, attendant sa victime son cher élève. Les instructions étaient simples : sa mission de la soirée pour progresser dans l'art du contact humain était de survivre à l'épreuve de la boîte. Il était sensé s'habiller d'une manière appropriée pour l'évènement, et s'être reposé pour être assez frais pour les possibles rebondissements à venir...
Quand le garçon apparu dans son champ de vision, elle était venue à sa rencontre d'une démarche élégante, oubliant comme à son habitude de sourire, son expression glaciale participant sans doute à cette étrange aura qu'elle pouvait avoir même sans s'habiller en marques de luxe. Bonsoir Eero, je suis ravie de vous voir arriver pour votre leçon en un seul morceau. Le détaillant du regard avec ses grands yeux sombres, jaugeant sa tenue avec grand intérêt, elle releva ensuite la tête vers lui. Bien. Etes-vous prêts pour ce soir ? Saeri savait Eero studieux et attentif : il prenait très au sérieux les leçons qu'elle lui donnait. Cependant, elle ne savait pas s'il avait été de lui-même faire des recherches sur les boîtes de nuit, leur faune, les coutumes des lieux et les dangers possibles de ces lieux... La plupart des jeunes en avait conscience, mais il était raisonnable de douter que le dragon soit au même niveau que ses camarades après avoir constaté sa maladresse générale.
J'aimerais que vous trouviez le moyen d'emmener quelqu'un danser. Je resterai tout du long au bar pour surveiller en cas d'ennuis mais... J'aimerais que vous réussissiez à aborder des inconnus dans un lieu comme celui-ci et d à vous faire assez à la fois rassurant et sympathique pour accéder à la piste de danse. Certaines personnes allaient volontiers danser avec des inconnu-e-s, mais il lui semblait tout de même que la plupart préféraient en premier lieu tenir un morceau de discussion. N'était il pas mieux d'avoir au moins un nom à mettre sur le visage d'un-e partenaire de dancefloor ? Mais avec le monde tout autour, le bruit et les lumières, la chose était de toute évidence plus compliquée que dans d'autres lieux classiques... C'était pour cela qu'elle considérait le baptême de cette nuit comme un moyen fiable d'évaluer où Eero en était rendu sur ces capacités basiques : aborder quelqu'un, adopter un comportement qui ne faisait pas lever le drapeau rouge à tout le monde, se faire sympathique, et être capable de s'adapter à un-e inconnu-e pour une activité aussi banale mais complexe qu'une danse. Est-ce que vous acceptez cette mission ? Je peux vous en trouver une autre sinon, ne vous inquiétez pas. Elle ne voulait pas non plus le traumatiser, ce serait dommage.

Boîte de nuit.
Ce mot résonne dans sa boîte crânienne avec intermittence, sous chacun de ses pas et le roulement de ses épaules tendus par le choix du lieu. Il n’est pas prêt et pense qu’il ne le sera dans un lieu comme celui-ci. Bruyant, devant offrir une sociabilité à hauteur de tout ce qui peut être possible et inimaginable. Et en tant qu’introverti aux pensées suicidaires et à la réserve naturelle pour se préserver, il est équivoque qu’il préfère se terrer dans un trou profond que de frôler un mur de cet endroit. Toutefois, il démontre trop de discipline et de sérieux pour se dérober face à demande de cette mentor qui prend le temps avec lui, pour le sortir de sa zone de confort. Il se doit d’accepter et de prendre part à cette mission périlleuse selon lui.

— Oui, je… Je suis prêt. Vous êtes ravissante.

Il n’a jamais pour habitude d’être hypocrite, trop franc pour ce compliment très honnête. Il n’est qu’un menteur lorsque cela concerne sa propre situation, avec ce déni qui fait mal aux entrailles et lever les yeux. Pas pour le reste. Sous la demande, son cou déjà emplis de cicatrices pourrait se désosser tant il a tourné celle-ci à pleine vitesse, vers son interlocutrice. Ses yeux se sont mis à s’écarquiller avec sensiblerie, déglutissant en dérivant vers la foule qui n’attend personne et se fond dans la masse comme une nuée de papillons à la recherche d’une lumière brûlante. Il prend une inspiration et secoue la tête.

— Non, non, je vais le faire. Je ne sais simplement pas comment commencer une conversation… Sans paraître pour un mec chiant ?

Il peut adopter le rôle de l’assurance et un semblant de confiance qui peut transparaitre, toutefois, sa sensibilité envers autrui peut lui octroyer un coup de poing envers des extravertis qui n’ont, très souvent, aucun filtre. Pas même de bienveillance ou une part de jugement, envoyer balader si cela ne leur convient pas dans une convention égocentrique entre les désirs de chacun. Il peut donc, avec légitimité, se demander quelles sont les limites abordables de celles qui peuvent être un rejet rédhibitoire envers une quelconque personne ?

— Je ne vais pas offrir un verre si le but est d’aller danser, ce serait à contre-sens ou, je ne sais pas. C’est plus simple quand on parle gastronomie, il fait à manger et le tour est joué. Mais danser ? Il ne le fait qu’à son club à l’école, pas dans un lieu public. Je suppose que je dois trouver par moi-même la solution et faire selon ce qu’il se passe ?

Mettre de côté les doutes et les appréhensions, pour se lancer dans cette cage aux lions. Sans savoir ce qu’elle manière, il va être dévoré.