Muse (pv. Meili)

Cela fait maintenant plusieurs heures qu’il est penché sur les pages vides de son carnet, crayon à la main, l’esprit ailleurs. Il cherche l’inspiration, mais celle-ci ne vient pas, le laisse tomber comme s’il était incapable de créer. Fut un temps où il n’avait aucun mal à remplir les espaces blancs sur lesquels ses traits filaient si vite qu’il devait souvent acheter de nouveaux supports. Son esprit débordait d’imagination, et aujourd’hui il semble vide, dénué de son essence qui semble n’être plus qu’un rêve éveillé.  

Son regard est rivé sur le plafond, comme si celui-ci allait subitement lui souffler des idées, le guider sur des pistes qu’il pourrait creuser. Coudre a toujours été une passion, tout comme la musique. Il ne se voit pas vivre sans, mais en ce qui la concerne, elle n’a pas besoin de lui pour exister. Il y a cette peur qui s’installe petit à petit, noirci les paysages féériques qu’il a pourtant l’habitude d’explorer. Les questions se posent, mais il ne veut pas avoir de réponse. Et s'il finissait par totalement perdre son âme d’artiste ? Que ferait-il ? Il faut qu’il garde son calme, mais c’est toujours plus facile à dire qu’à faire. Depuis qu’il est petit, il vit dans un monde où rien ne semble réel ; l’idée que ce dernier s’évapore noue ses tripes chaque jour un peu plus.

[...]

Finalement il baisse les bras, décide d’abandonner pour ce soir. Les vingt dernières minutes n’ont pas été plus productives que les trois heures qui les ont précédées. Les feuilles et son matériel n’ont pas été rangés. Comme toujours, il laisse son plan de travail comme tel, sans rien bouger. L’ordre n’a pas sa place dans l’art, au contraire, il le restreint.

La nuit est tombée depuis longtemps, mais il n’est pas spécialement fatigué. Le sentiment d’échec le maintient éveillé depuis plusieurs jours, et il va devoir songer à éventuellement prendre des somnifères. Avec les entraînements et les cours, il ne peut pas se permettre de trop creuser sa dette de sommeil. Mais s’il ne s’inquiète pas trop, c’est parce qu’il sait à qui demander en cas de besoin. Il n’a pas d’affinité particulière avec Song Yejun, mais il ne le déteste pas non plus. Le geobuk est sans doute l’un des plus gros consommateurs de somnifères qu’il connaisse, pour ne pas dire le plus gros. S’il a besoin d’un truc, Beomseok sait qu’il pourra toujours venir le voir.

Les couloirs sont presque vides. La plupart des étudiants dorment déjà, mais d’autres ne sont toujours pas couchés. Les raisons pour lesquelles chaque individu n’arrive pas à trouver le sommeil sont toutes différentes, mais aucune n’est prononcée à voix haute. C’est comme un code ; on ne s'immisce pas dans les affaires des autres. C’est à eux de venir en parler s’ils le souhaitent. La nuit porte conseil, mais ce ne sont pas toujours des bons.

Le tigre croise quelques étudiants, les salue brièvement avant de continuer sa route. Il n’a pas spécialement envie de parler, et il voudrait ne pas rester éveillé trop longtemps non plus.

Mais alors qu’il allait quitter le bâtiment principal pour rejoindre ses quartiers, il sent une présence qui lui est bien trop familière pour la laisser filer. Il s’arrête avant de se retourner, pousse un soupir presque exaspéré. ” Tu sais que je te vois. ”

Beomseok ne la connaît que trop bien, et ça lui arrache presque une petite partie du cœur. Aussi fort qu’il voudrait l’oublier, Zhu Meili continue de venir le hanter, comme s’ils étaient destinés à se retrouver à chaque fois qu’ils voudraient s’éloigner.

“ Pas la peine de faire l’invisible. Tu ne disparaîtrais pas pour autant. En tous cas pas à mes yeux. Et tu le sais. ”

Un rictus taquin se dessine sur son visage, presque moqueur. Il aurait pu faire semblant de ne pas avoir remarqué sa présence, mais voilà. Pour une raison qu’il ne comprend pas (ne sait que trop bien), il n’arrive pas à l’ignorer.