(tw) not again

– Je ne vous donne que mon point de vue, Eero… J'ai beau porter une blouse blanche au quotidien, cela ne fait pas de moi une personne porteuse d'arguments d’autorité, précisé-je en souriant. Je n'ai jamais été très douée avec les relations humaines.

J'ai passé ma vie à évoluer en marge de la société. Petite, déjà, j’observais beaucoup sans pour autant essayer de me mêler aux autres. Je me suis toujours sentie à part, presque de trop. Je me cachais derrière mon humour et mes sourires, les utilisant même comme une sorte d’armure capable de me préserver de toutes les contrariétés liées à la vie sociale. C'est sans doute ce qui m’a rendue aussi naïve, puis aussi exigeante à force d'être déçue.

– Je ne vois pas ce que l’on peut offrir de plus que ce que l’on a… soupiré-je tout en fermant les yeux dans l’espoir de visualiser cette possibilité que je j'ignore. Je pense que l’on vient tous avec un certain nombre de cartes dans notre jeu. On peut toutes les poser sur la table si nécessaire, mais on ne peut pas en sortir d'autres de nos manches. Ce n’est pas possible, même si l’on nous le demande. Après … Je suppose que rien ne nous empêche d’en gagner d’autres au fils des jeux et du temps …

Une chose est sûre, l’humain est en perpétuelle évolution. De sa naissance à son trépas, l’Homme emmagasine toujours plus d’expérience. Il gagne en valeur, en intellect, en patience. A mon sens, c'est précisément ce qui rend les gens aussi intéressants. Rien n’est jamais fixe, tout peut changer…L’on grandit au contact des autres, c'est un fait indéniable qu’il serait stupide de négliger.

La question suivante m’arrache un fou rire et tandis que je me replonge dans ces vieux souvenirs, je me remémore les raisons qui m’ont poussé à prendre le large la toute première fois. Au fond, je suis toujours partie pour la même raison : la peur de mourir ou simplement de perdre une partie de moi. Si je pars, c'est avant tout pour me préserver.

– Ce n’est pas si simple, non. Cela débute par une profonde introspection. Je pèse le pour et le contre… Je réfléchis. Plus le temps passe et plus le choix se fait rapidement, rétorqué-je, le sourire aux lèvres. Ce n’est pas sans raison que je parle de fuite. Si j'ai décidé de partir, c'est bien parce que ma survie en dépendait… Plus particulièrement ma santé mentale d’ailleurs.

J'ai quitté mes parents et leur éducation toxique. J’ai quitté la ville qui me rendait malade. J'ai quitté l'homme que j'aimais mais qui me faisait tant souffrir. Je suis partie pour tout reprendre à zéro mais surtout pour me reconstruire.

– Finalement, quand on prend réellement la peine de réfléchir et de tout poser à plat, la décision n’est pas si difficile à prendre. Le plus dur, c'est le cheminement qui nous conduit vers ce choix.

La vie est loin de ressembler à un long fleuve tranquille. C'est un parcours semé d’embûches en tout genre. Il y a des centaines de façons de les franchir pour arriver au bout… J'ai choisi d’emprunter d'autres chemins … Mais cela ne signifie pas pour autant que c’est un choix qui conviendra à tout le monde. Certains reculent. D’autres passent par-dessus. Quelques-uns les détruisent les obstacles ou les contournent… Nous avons tous notre propre façon d’accomplir ce voyage.

– Dans ce cas, je me dois de vous remercier également parce que vous m’avez aussi donné de quoi réfléchir, ajouté-je. Vous ne m’avez pas ménagé non plus, jeune homme, pouffé-je de bon cœur.

Ses questions – même si elles ne manquent pas de sens – me perturbent suffisamment pour me laisser sans voix. Je ne suis que moi, je ne peux donc qu’exprimer mon propre point de vue tout en ayant conscience qu'il ne s’agit pas là d’une vérité universelle. En grande solitaire, je ne me suis jamais interrogée sur les relations humaines plus poussées telles que l’amitié. Pour moi les gens s'accordent ou non selon leur personnalité et leurs intérêts communs. Ils se complètent de bien des manières et cela se fait tout à fait naturellement… Je n’ai jamais ressenti le besoin de modeler ma personnalité pour m'accorder à celle des autres. En réalité, je me fiche bien de leur convenir ou non…

– Je ne saurais pas vous répondre, dis-je en haussant négligemment les épaules. J'estime que cela ne devrait pas demander tant d’efforts. Je pars du principe que les affinités existent dès le début, même s'il faut du temps pour les découvrir. Personnellement, je ne me prends pas autant la tête. Si cela fonctionne, tant mieux, sinon… Tant pis ? Hors de question pour moi de façonner ma personnalité pour coller à celle de l’individu qui se trouve en face de moi.

Que je sois douée ou non, c'est ainsi que je fonctionne. Je ne fais pas partie de ces caméléons sociaux qui s’adaptent constamment pour rentrer dans le moule de quelqu'un d'autre. J’ai bien assez subi pour ne plus vouloir jouer à ce genre de jeu grotesque. Je n’ai pas la moindre intention de me battre inutilement. Je ne suis pas Don Quichotte qui se dresse face à des moulins à vent. Je suis Kang Jiyeon, et tant pis si les autres ne sont pas prêts à m’accepter telle que je suis.

– Mais peut-être que la fuite n’est tout simplement pas la bonne solution pour vous, Eero, précisé-je en me redressant. C'est à vous de trouver le bon moyen d’affronter vos problèmes ou de continuer à avancer malgré eux. Personne ne vous dira quoi faire. Ce qui fonctionne pour l’un ne fonctionnera pas pour l'autre parce que nous sommes tous différents. C'est à vous de trouver la solution qui vous conviendra…

Ce serait beaucoup trop simple sinon… Imaginons que nous naissions tous avec notre propre mode d’emploi… Qu’à chaque problème se trouve la rubrique “résolution”... A quoi bon réfléchir et mener la moindre introspection ? Comment espérer évoluer, grandir si nous devions sans cesse compter sur ce genre d'appui ? C'est impossible.

– Ne vous excusez pas, pouffé-je. Je n’ai rien contre le fait de réfléchir de temps en temps. Je n’ai malheureusement pas réponse à tout… Quoique, tant mieux. Je détesterais tout savoir parce que dans ce cas, la vie ne vaudrait même plus la peine d'être vécu.

Je me souviens que, plus jeune, je faisais partie de ces personnes qui faisaient tout pour s’entendre avec tout le monde. Pour mes parents, il s’agissait avant tout d’une question d’image, de réputation. Être gentille et souriante était précisément ce que l’on attendait de moi… Il fallait sans cesse que je m’adapte à la situation, à mon interlocuteur… C’était usant… Sans doute est-ce pour cela que j’en suis totalement incapable aujourd'hui.

– Je me répète peut-être, mais nous sommes différent, vous et moi, précisé-je. Personne ne vous demande de réagir comme moi je pourrai le faire. L’essentiel est de trouver ce qui vous correspond. Il est important d’être en accord avec ce que nous sommes profondément.

Au fond, nul besoin de comparer deux individus. Les différences sont même plutôt évidentes. Mes expériences m’ont façonné de cette manière, il en va forcément différemment pour lui puisque nous n'avons pas vécu les mêmes choses.

– Un jour ou l’autre, la bonne solution vous apparaîtra comme évidente. Vous avez encore besoin de grandir, d'apprendre à vous connaître et surtout d’accepter ce que vous êtes. Pour l’heure, c'est loin d'être le cas, n'est-ce pas ?

Le sourire que je lui offre est empreint de toute la bienveillance dont je suis capable. Je ne sais qu’ajouter de plus.

– Cessez déjà de vous punir avant qu’il ne soit trop tard. Sans quoi, tous vos efforts auront été vains et c'est bien dommage. Personne n’est jamais totalement libre et, heureusement. Nous sommes tous soumis à des règles, des limites. Même un oiseau est obligé de se poser de temps à autre…

C'est précisément ce que représente le tatouage figé sur mon poignet. La liberté pleine et totale n’existe pas. Celle-ci signifierait d’ailleurs le chaos pur et simple.

– Comme je le disais plus tôt, l’important est de vivre en accord avec ce que vous êtes. Respectez-vous. Soyez vous-même. Entourez-vous des bonnes personnes et… Vivez, tout simplement. Parce que vous le méritez Eero. Vous méritez de vivre et d'être heureux. Chacun a le droit à sa propre part de bonheur en ce monde et vous ne faites pas exception.

– Si je me suis toujours acceptée ? répété-je comme pour m’assurer d’avoir bien compris la question. La réponse est simple : Bien-sûr que non, du moins… Disons que j’ai mis beaucoup de temps à comprendre qui j’étais en réalité.

À force de vouloir coller à une image imposée par d'autres, il est souvent difficile de pouvoir s’y retrouver. J'étais la fille de mes parents avant d'être seulement moi. C'est encore une chose bien délicate à expliquer parce que cela tient à tellement de choses finalement.

– Je n’ai réellement pu faire face à ma propre personnalité que lorsque je me suis éloignée de l’influence de mes parents. Lorsque j'ai pu, en effet, vivre mes propres expériences et me construire loin de leurs attentes à mon égard.

Je lui épargnerais les détails de ma vie de “pauvre petite fille riche qui n’a jamais manqué de rien”. Une phrase trop souvent entendue à mon goût et qui a le don de m’agacer profondément. Comme si le monde se résumait à de l’argent, des biens matériels qui ne valent finalement rien. L’argent achète peut-être tout ce que l’on peut toucher, mais certainement pas l’amour et la bienveillance des autres. Je peux évidemment comprendre que cela puisse échapper à des personnes qui ont vécu dans la pauvreté. Manquer de tout n’aide certainement pas à trouver le bonheur, mais… J’ose espérer que cela peut les aider à se focaliser sur ce qu’il y a le plus d'importance. Tout avoir ne signifie pas ne manquer de rien… Une nuance que beaucoup trouve encore totalement inacceptable.

– Commencer par vous poser les bonnes questions, Eero, soupiré-je. Ces personnes qui vous ont reproché d'être ce que vous êtes… Avaient-ils seulement raison ? Étaient-ils à ce point irréprochables pour que leur mots deviennent paroles d’évangile à vos yeux ?

J’ai beau poser la question, je connais déjà la réponse : non. Personne n’est parfait. Les reproches sont aisés quand on n’est pas fichu de s’améliorer soi-même.

– Cessez d'hésiter et vous commencerez à exister pour de bon. Il n'y a pas de recette miracle. Pas de formule magique non plus. Tout changement, toute évolution doit avant tout venir de vous. Actuellement, vous vous cachez derrière vos traumatismes . Vous leur donnez le pouvoir de vous amoindrir et de vous bâillonner. Ils existent, c'est un fait… Mais c'est à vous de franchir le pas et de commencer à vivre malgré eux.